Défi 143 chez Enriqueta pour les Croqueurs de mots, dont le thème est malade.
Le plus difficile ou le plus facile peut-être, est d’écouter. Un client peut ne pas se plaindre, ne pas évoquer son mal, ni même demander conseil quant à ses médicaments, les posologies, les effets secondaires… Il se tient face à moi, il me regard pianoter sur le clavier ou fixer l’écran et il attend que je lui donne son petit sac. Le plus souvent ce client-là a un rhume, une angine, ou une maladie chronique qu’il maîtrise plus ou moins. Entre nous c’est consensuel, banal, un peu ennuyeux. Entre nous, il ne se passe rien, c’est un peu… jouer à la marchande. Car la maladie n’est qu’un dérèglement de la machine qu’il suffit de recadrer afin qu’elle continue de filer droit.
Parfois, on ne soigne pas, on aide un peu, à notre niveau. Dans une pharmacie, il faut prendre le temps de regarder le malade, de détecter un appel, même minime, et d’encourager face à un mal dont chacun connaît l’issue… sans issue. Ces personnes auxquelles on ne délivre que somnifères, anxiolytiques et anti douleurs, et qui disent : « Je n’ai pas de chance, vraiment pas de chance » en se grattant la tête, risquent timidement: « est-ce que ça ronge les os, comment ça fait ? » avant de se fermer ensuite, ou insistent au téléphone quand l’officine est remplie de clients qui rongent leur frein: « je ne deviens pas folle, non, je suis toute seule, et j’ai envie de passer par la fenêtre »… Ces personnes n’attendent pas grand-chose et pourtant il est essentiel, ce petit grain, qui va se nicher dans les cœurs comme celui qu’on introduit dans les huitres. C’est un instant de partage qui passe par un regard franc et sans pitié, un regard déclarant que nous sommes tous passagers d’un même bateau. Au téléphone, c’est l’intonation qui délivre le même message. Il arrive alors que quelques jours plus tard, le client revienne ou rappelle et dise : « excusez-moi pour l’autre jour, j’allais mal et ça m’a fait du bien de vous parler ». Alors on sourit, on se sent utile et redevable aussi. Car celui qui se tient de l’autre côté du comptoir ou du combiné, nous apprend à accorder du crédit à chaque jour.