J’y étais. Non pas à Saint Martin ou à Saint Barthélémy. J’étais semi épargnée, semi planquée ? au Gosier en Guadeloupe. Irma j’en ai entendu parler dès mon arrivée le 21 août. Tout le monde ici évoquait les tempêtes tropicales, l’improbable cyclone. Mais « ou sav » (vous savez) ici on a l’habitude, tous les ans de septembre à décembre c’est pareil. Et puis en métropole on exagère ou minimise, on ne sait pas. Mes amis m’ont dit, maintenant tu es vraiment guadeloupéenne. Quand on n’a pas vécu un cyclone, participé à l’attente, à l’angoisse, aux préparatifs d’avant fléau, on n’est qu’un touriste dans l’archipel.
Lundi 4 septembre. Nous sommes en vigilance orange : préparez-vous. Les nuages comblent une partie du ciel. Le temps est magnifique, le ciel bleu lavande, la mer calme, à 32°. Très mauvais ça, un bon terrain. Le monstre se prépare. Des merles envahissent les routes par endroits. La nature est muette, pas un chant d’oiseau, pas un battement d’ailes ou si peu. Destreland le centre commercial est bondé. « Cyclone la ka passé, zot ka barricadé » (le cyclone va passer, barricadez-vous). On achète bougies, transistors, packs d’eau, conserves, scotch. Bricorama est pris d’assaut, des planches, des clous. Ça bouchonne aux stations-services. La Marine du Gosier est comblée par les bateaux de Saint Martin que certains ont rapatrié. A la Pointe des châteaux la houle est forte, on joue avec les vagues et le ressac. On joue à la culbute, on mange du sable. C’est si rare une telle rage des éléments!
Mardi 5 septembre. 15h, La pluie arrive, cesse, repart. Les grenouilles qui ne chantent que la nuit d’habitude, se croient autorisées à donner un concert. Le ciel a la couleur gris sale de plumes de pigeon. La chaleur est étouffante. Nous passons en vigilance rouge : prière de rester chez soi. Devant la chambre de notre hôtel les palmiers dansent, échevelés. On les croirait impatients de briser les vitres. A 18h30, le vent hulule, les palmiers ondulent de plus en plus, ensorcelants. Ils perdent leurs fruits rouges, une nuée de poules et leurs poussins tournent autour et les picorent. Stan le chat du voisin est prié de rentrer chez lui. Jeannie, une amie envoie des photos de Marigot à Saint Martin, les dernières avant que les liaisons ne soient coupées. Des balustrades submergées. Nous n’aurons de nouvelles que 48 h plus tard. Réfugiée à l’hôpital qui a perdu son toit, Jeannie n’a plus de maison.
Mercredi 6 septembre. 6h20. C’est le déluge. Le vent et la pluie s’acharnent sur la tôle du volet métallique que j’entrouvre. Au loin tout est gris, fondu, indiscernable. Mais les palmiers dansent la samba juste devant moi accompagnés des grenouilles épuisées qui auraient dû se taire au lever du jour. 8h 30 premiers hululements de sirènes. 10h 40, la pluie incessante strie le ciel. Midi le vent reste fort et les nuages éclairés par un soleil invisible ont meilleure mine. Depuis la piscine de l’hôtel, en hauteur, on aperçoit la mer agitée, bicolore, moussue. Vers 18 h la houle décroit, on peut sortir. La chaleur est accablante. Peu de dégâts ici. Allons une forte houle, les grandes marées, on connait ça aussi en métropole ! Mais les rues sont désertes, les magasins fermés, les rares passants en proie à la torpeur. Dans l’hôtel des chambres ont été mises à la disposition de la Croix Rouge. Des équipes, téléphones, bardas, sacs à dos vont et viennent sous ma fenêtre. Le malheur a frappé tout près, il est temps de s'y rendre.