25 mai 2020
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08:00
Il a quatre-vingt sept ans et trouve que les temps sont difficiles. Il pensait ne jamais devoir revivre ça. Se calfeutrer chez soi, ne pouvoir sortir sous peine de risquer sa vie, passer devant des rayons vides dans les magasins, faire la queue durant des heures.
Son grand-père a creusé les tranchées en 1915. Son père est mort en 43, il avait sept ans. Il se revoit, de retour de l'école, le cartable en bandoulière, en galoches et culotte courte. La mère est assise sur une chaise de paille de la cuisine, avec un policier à ses côtés, et ce mort pour la France inscrit au coin de la bouche. il se revoit criant: "mon petit papa!". Ses yeux se remplissent de larmes, il tend sa grande main sèche, tremblante, aux veines apparentes, vers moi et dit:
- C'est dur, vous savez. Ce qu'on vit en ce moment. Ca me rappelle ces vieux souvenirs, je n'ai jamais oublié. Je le pleure encore mon petit papa! On devient toujours ce que l'enfance fait de nous. Je n'ai pas fait le deuil. Je ne méritais pas de replonger là-dedans, à mon âge.
Et puis il part, il s'éloigne sur le trottoir, réajuste son masque sur son nez et se perd dans ces rues qui s'amusent à vous jeter le temps à la figure, comme un boomerang.