Consigne 61 D’Ecriture Ludique
Deux personnes se promènent dans une forêt. Leur chemin se sépare un instant, pendant lequel l'une des deux (le personnage principal), suite à un phénomène étrange, découvre une sorte de "boîte"...
A partir de ce canevas très simple, racontez-nous une histoire où vous pourrez décider absolument de tous les détails, le but étant comme pour beaucoup de nos exercices d'éviter la banalité, les clichés, et donc de chercher à surprendre par le ton, les personnages, les situations...
Elles ont choisi de parcourir le pays, de ravaler leurs dépits. Les hommes, stop, on zappe, on oublie. Elles ont jeté les valises dans le coffre de la Clio et taillé la route. Un vagabondage intellectuel, initiatique. La Bretagne d’abord, elles ont hanté Combourg, froid, austère, traqué Chateaubriand. Puis elles se sont invitées chez Georges Sand à Nohant, convivial et champêtre. Elles sont descendues vers Bordeaux, poursuivant Montesquieu dans son antre à La Brède. Cela fait déjà dix jours qu’elles s’évadent, qu’elles s’allègent, qu’elles respirent. Hélène observe Louise qui se dénoue. Les premiers soirs, elle s’endormait vite, recroquevillée en chien de fusil, la tête enfouie dans les draps. Au fil du temps, elle s’est étirée, occupant tout l’espace, une jambe, un bras, un sein dénudés, offerts. Hélène s’assied, haletante, sur son lit jumeau. Son cœur roule dans sa poitrine, écrase les poumons, comme une boule dans un jeu de quilles. Elle va à la fenêtre qu’elle ouvre grande, happe l’air, expire lentement. Puis, se dirigeant vers le lavabo, elle se passe de l’eau sur le visage, jette un œil à son reflet dans la glace.
- Que m’arrive-t-il ?
Elles reviennent sur Paris, explorant les châteaux de la Loire. Profitent d’une halte au Clos Lucé, domaine du Seigneur de Vinci. Le parc est magnifique et la lumière, en cette soirée de la fin août, est d’une blancheur crémeuse, irréelle. Procure une harmonie, une quiétude que personne ne songe à rompre. Les visiteurs chuchotent, leurs pas glissent dans les allées, et au détour de chacune d’elle une machine gigantesque du génial inventeur incite à la réflexion, à l’admiration. Les filles avancent en silence, découvrent la flore et la faune d’un écosystème marécageux. Elles traversent le grand pont de chêne à double travée, se promènent à l’ombre des grands arbres, dans la fraîcheur des sources jaillissantes.
Hélène s’éloigne un instant, tandis que Louise contemple les canards et les carpes dans la mare. Elle se dirige vers le jardin botanique, se penche, attribue un nom à chaque plante. Elle veut occuper son esprit, chasser le trouble qui la saisit et l’effraie. Sur le sol, elle remarque une minuscule boîte blanche et l’ouvre dans le creux de sa main. Tel un vizir ou le génie de la lampe, Léonard apparaît, majestueux. Il ne porte pas le lourd manteau de velours des riches citoyens de Milan mais une sorte de blouse blanche. Il ressemble à un apôtre. Ses longs cheveux, sa barbe en pointe et un sourire prophétique illuminent son visage. Hélène se secoue, c’est le moment de dire des âneries, arrête la coke et l’ectasy, ma fille !
Laisse tomber les feuilletons surnaturels, les « Stargate »,
les « heroes », eh, ho, atterrit ! Ou alors achète l’intégrale de « the L Word », parce qu’avec ce qui t’arrive, tu en auras besoin !
La voix de Léonard, s’élève, impose le silence :
- Il n’y a pas de maîtrise à la fois plus grande et plus humble que celle que l’on exerce sur soi.
Hélène hoche la tête, esquisse un sourire. Et tandis que le spectre disparaît, énigmatique, un rien farceur, elle écarte ses doigts recroquevillés sur l’objet dans sa main. C’était un caillou lisse et rond qu’elle dépose doucement dans la terre.
Elle retrouve Louise assise en tailleur au bord de l’eau, hypnotisée par l’onde qui se propage à la surface. Elle passe un bras autour de ses épaules et l’autre sursaute. Il est trop tard, je ne peux pas m’éloigner de son odeur, de sa chaleur. Plus maintenant. Tout ça c’est de la faute à Léonard ! Je n’ai pas son calme, sa philosophie. Pour se donner du courage, elle attend qu’il souffle une autre maxime, un prétexte, un alibi. C’est dans le bruissement des feuilles et la course du vent à travers les joncs qu’elle entend : louer ou censurer ce que tu ne comprends pas peut causer préjudice.
Alors elle s’autorise un geste, se rapproche davantage, pose sa tête contre l’épaule de Louise et murmure :
- Tu as froid ?
- Non au contraire. Je suis bien.