27 février 2009
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53 - Ecriture sur image (Michel) Laissez votre imagination prendre possession de cette photo (tirée d'un film, mais vous ne saurez pas lequel, pour ne pas vous orienter), et vous raconter son histoire. Partagez-nous cette histoire, quelle qu'elle soit. La seule consigne est d'essayer de surprendre, autant que possible.
Il est dix huit heures trente. Je suis arrivée seule et j’ai commandé un mojito. J’ai rempli ma coupelle de cacahuètes et j’ai choisi le fauteuil cabossé, déchiré. Avachie dedans et le regard vague, j’attends. Le temps. J’attends qu’il passe lentement. Il sait faire, il se réfugie dans les regards. L’ambiance est jeune et branchée, la trentaine comme moi. Chacun s’observe, se chercher se jauge, juge de son pouvoir de séduction. Ce que ça peut bouffer les minutes de vouloir plaire. C’est un clignement d’œil, un battement de cil, un geste de la main, la manière de lever son verre de rouge ou de rosé, de fourrer ses cacahuètes une à une dans sa bouche, de dodeliner du chef en secouant une longue chevelure lisse et raide. C’est ce grand type au bar, qui profite de la soirée Halloween, tous les cocktails fument, les serveuses sont vêtues et maquillées de noir, l’heure avance, c’est blindé, chacun se sert, des olives à la louche. C’est ce grand type au bar, et moi qui n’attend personne. J’ai le moral au ras des pâquerettes. S’il fallait que je parle, que j’enlève ce grand scotch sur ma bouche, que je stoppe la larme qui bave sur ma joue, je les aborderai tous. Le grand blond qui téléphone à l’entrée, la fille bouclée aux longues jambes tricotant l’air dessous le short, le serveur. Lui se demande si je vais commander un troisième mojito ou me tirer en douce. Je leur prendrais la tête avec mes peines ; la mort de mon père la semaine dernière, ma dém à cause d’un chef trop caressant, mes amours nulles et répétitives et nulles. Je les embrasserais, je les serrerais fort tout contre moi, parce que ça tient chaud, parce que ça rassure. C’est ce grand type au bar, qui s’approche, et qui s’assied à côté, sur le siège. Il me regarde, il m’ausculte du bout des yeux comme un cancérologue avant d’annoncer la nouvelle. Ou un dragueur avant d’attaquer. C’est nul, j’espérais mieux, de lui j’espérais mieux. Avec ses lunettes et sa barbiche d’intello je l’imaginais déclamant du Brel avec la voix surgie des tripes. De sa poche il tire un mouchoir en papier et effleure ma joue, là où ça brille. Il me regarde dans les petites tâches noires au milieu des pupilles, et sa voix surgit des tripes :
- Prenez soin de vous, il dit, restez droite. Ne laissez aucun événement, ne laissez personne vous démolir.
Une manière d’ôter le placard sur ma bouche, de m’autoriser à parler.
- Merci de vous soucier de moi, je dis.
- C’est très intéressé vous savez, j’ai envie de vous connaître, et de confronter nos blessures. C’est la première fois que je ressens cela.
Et moi, j’ai envie de m’échapper, avec lui, dehors. Par la fenêtre j’aperçois un quartier de lune, il pendouille sous une étoile, attaché, tel un insecte au fil d’une araignée.
Il est dix huit heures trente. Je suis arrivée seule et j’ai commandé un mojito. J’ai rempli ma coupelle de cacahuètes et j’ai choisi le fauteuil cabossé, déchiré. Avachie dedans et le regard vague, j’attends. Le temps. J’attends qu’il passe lentement. Il sait faire, il se réfugie dans les regards. L’ambiance est jeune et branchée, la trentaine comme moi. Chacun s’observe, se chercher se jauge, juge de son pouvoir de séduction. Ce que ça peut bouffer les minutes de vouloir plaire. C’est un clignement d’œil, un battement de cil, un geste de la main, la manière de lever son verre de rouge ou de rosé, de fourrer ses cacahuètes une à une dans sa bouche, de dodeliner du chef en secouant une longue chevelure lisse et raide. C’est ce grand type au bar, qui profite de la soirée Halloween, tous les cocktails fument, les serveuses sont vêtues et maquillées de noir, l’heure avance, c’est blindé, chacun se sert, des olives à la louche. C’est ce grand type au bar, et moi qui n’attend personne. J’ai le moral au ras des pâquerettes. S’il fallait que je parle, que j’enlève ce grand scotch sur ma bouche, que je stoppe la larme qui bave sur ma joue, je les aborderai tous. Le grand blond qui téléphone à l’entrée, la fille bouclée aux longues jambes tricotant l’air dessous le short, le serveur. Lui se demande si je vais commander un troisième mojito ou me tirer en douce. Je leur prendrais la tête avec mes peines ; la mort de mon père la semaine dernière, ma dém à cause d’un chef trop caressant, mes amours nulles et répétitives et nulles. Je les embrasserais, je les serrerais fort tout contre moi, parce que ça tient chaud, parce que ça rassure. C’est ce grand type au bar, qui s’approche, et qui s’assied à côté, sur le siège. Il me regarde, il m’ausculte du bout des yeux comme un cancérologue avant d’annoncer la nouvelle. Ou un dragueur avant d’attaquer. C’est nul, j’espérais mieux, de lui j’espérais mieux. Avec ses lunettes et sa barbiche d’intello je l’imaginais déclamant du Brel avec la voix surgie des tripes. De sa poche il tire un mouchoir en papier et effleure ma joue, là où ça brille. Il me regarde dans les petites tâches noires au milieu des pupilles, et sa voix surgit des tripes :
- Prenez soin de vous, il dit, restez droite. Ne laissez aucun événement, ne laissez personne vous démolir.
Une manière d’ôter le placard sur ma bouche, de m’autoriser à parler.
- Merci de vous soucier de moi, je dis.
- C’est très intéressé vous savez, j’ai envie de vous connaître, et de confronter nos blessures. C’est la première fois que je ressens cela.
Et moi, j’ai envie de m’échapper, avec lui, dehors. Par la fenêtre j’aperçois un quartier de lune, il pendouille sous une étoile, attaché, tel un insecte au fil d’une araignée.