Il est parti sans moi. Il a dit le Mexique, à ce prix, c’est une occasion unique, je ne raterai ça pour rien au monde. Je n’y croyais pas mais il l’a fait, s’est racheté des bermudas et des sweets, une nouvelle paire de lunettes noires et un chapeau pour le soleil.
Il m’a laissé les gosses et l’école, Paris, le ciel gris et un vent glacial. Il m’a laissé le train train, le grand lit, le chat, les rats et les cochons d’inde. Pour la compagnie : les clings, clings dans la cage ça fait du bruit, je ne suis pas seule. Pour la fourrure : en glissant ma truffe dans les poils de Gris Gris, j’ai chaud. Et puis il y a Facebook, ça c’est pour les amis, les vrais, les proches. Les virtuels. Je m’amuse comme une petite folle. Même que je garde le chien du voisin, il ne fait que des bêtises, bouffe la selle de mon vélo et sème de l’engrais dans le jardin. Réparer, ramasser ça m’occupe. Tant que ce n’est pas moi que je ramasse.
Le boulot me distrait. Je vois des têtes et je papote, je pense à autre chose qu’à lui, sous un parasol sirotant une caïpirinha. On a même ouvert le champagne avec les collègues. C’était bien, une petite fiesta dans ma tête, des maracas et des aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, Palomaaaa…. Je crois que je vais aller chez le coiffeur, changer de tête avant qu’il ne rentre. Dix neuf ans qu’il se coltine une rousse, je peux tenter le blond. Qu’est-ce que je risque ? Qu’il ne remarque rien, c’est tout. Ca ferait mal quand même…
Ce soir je vais au Ciné avec mon fils, le plus jeune. Qui n’est accaparé ni par les filles, ni par ses études. Il est disponible et patient. Disons qu’il m’aime autrement. Que sortir avec maman ne l’humilie pas encore.
Il faut que je maigrisse, c’est pas nouveau. Mais j’ai faim. Rien que de penser à des tacos, fajitas et autres enchiladas, j’ai envie de me goinfrer de guacamole en feuilletant un livre sur la civilisation Maya. Je fais des efforts, jogging… mou… dimanche juste avant de préparer le repas. Mais ça creuse, dès le retour, je me précipite sur des galettes de maï… de son, pardon. Et puis préparer de repas de trois gaillards adolescents ça n’aide pas. Je vais à la piscine… Je m’y ennuie, les longueurs, c’est monotone.
Il ne faut pas m’en vouloir mais sans lui qui s’amuse sans moi, je déprime. Je ne vais pas mal mais je ne suis pas très bien. J’ai l’impression d’être une biscotte émiettée, de perdre de ma substance. Je guette la sonnerie de mon portable et consulte mes mails tout le temps. Vivement dimanche, parce qu’il rentre dimanche. Ca fait quinze jours qu’il est parti et nous ne sommes jamais restés éloignés l’un de l’autre si longtemps. J’irai le chercher à l’aéroport, je porterai ma robe bleue, ou la jaune. Oui… Non… J’ai le temps d’y réfléchir. J’ai le cœur qui palpite et les mains moites. Comme une jeune fille à son premier rendez-vous. Comme si notre histoire allait commencer. Comme si quelque chose basculait, comme si le temps imprimait sa marque. Et nous indiquait une direction nouvelle à prendre.