C’est un très beau film qui se sert des clichés et les jette au feu. Je n’ai pas l’intention d’en parler, les clichés ça saute aux yeux, des idées toutes faites sur n’importe quoi. Des idées qu’on lance en l’air quand on n’y connaît rien et que l’on croit savoir. Sauf que dans le cas de l’école les clichés sont la vérité. Un quotidien à épurer, à embellir, à rendre supportable. Pour tous ces jeunes, désabusés, désorientés et dont le langage signe la mise au rebut.
Ce film c’est Isabelle Adjani. On parle de retour, de manque, d’impatience. Sublime, habitée, auréolée, elle est son personnage. Et oui, elle me manquait. Ce n’est pas l’image fantasmée que j’avais d’elle, elle a grossi, on la surnomme bouboule et elle en rit. Mais elle est belle à jamais, solaire, présente. Comme une amie que j’aurais perdue de vue, et dont les avis, les conseils me faisaient cruellement défaut. Une confidente dans le giron de laquelle il ferait bon pleurer. Comme un amant retrouvé par hasard, longtemps après notre histoire, et dont le temps n’aurait pas altéré l’éclat. Je veux dire que des retrouvailles satisfaisantes sont rares, que le public n’est pas toujours fidèle. Adjani a su toucher ses fans d’autrefois et en conquérir de nouveaux.
Mais je ne connais pas Isabelle Adjani. Elle est dans ma tête et je l’invente, un peu. Dans ce film, outre une poignée de jeunes comédiens formidables et rafraîchissants, il y a Fatima. On la voit peu, on la voit mal, on la remarque à peine. C’est une de mes clientes à la pharmacie. Dans le film elle joue le rôle de la mère d’Adjani, elle est effacée, discrète, l’anxiété se lit sur son visage, elle ne parle pas. Elle est une musulmane typique, retranchée derrière un mari qui s’exprime seul. Le son de sa voix se résume à un cri, à la fin. Moi je sais qui elle est, elle raconte sa famille, son père, son fils, sa vie. Elle se sait cantonnée aux rôles de musulmane vieillissante et porte dans la vie les mêmes vêtements que dans le film. Chez nous, elle est bouillante, volubile, elle accapare l’attention. Déclame des poèmes, raconte ses tournées, ses auditions, nous fait part de ses constats philosophiques. Ses yeux ont de la fièvre. Elle nous happe, elle nous épuise, elle est vivante. Et tellement éloignée de la sobriété de son personnage dans le film.
Eh bien je ressentais le besoin de parler de ces deux femmes, l’une nous appartient, elle est à nous quelque part. L’autre n’intéresse qu’une poignée de personnes. L’une a sa vie loin de nous, en parallèle, elle est une référence. L’autre semble proche, accessible, elle est le quotidien. Ensemble elles représentent une forme d’équilibre, les pôles entre lesquels nous oscillons, tous, du rêve à la réalité.