A l’époque j’avais 37 ans, lui 23. J’étais mariée avec enfants, lui étudiant, célibataire. Ouais, ouais, je vous entends les mouettes, c’est assourdissant ce vacarme autour de ma tête. Taisez-vous et repliez vos ailes. Ne vous inquiétez pas, j’ai assuré, all was over control. Nous deux ça a fini au clash, parce que ça ne pouvait pas marcher, ça ne pouvait plus durer ce désir pas comblé. Il est parti un beau jour, comme il était venu.
Il était grand, beau, intelligent, cultivé, bourgeois et très, comment dire, poli. C’est banal comme histoire, un petit jeune, rencontré au boulot et qui vient de se faire plaquer par son amie. On discute, on débloque, on sympathise autour d’une tasse de café. On s’observe, on se scrute, on se découvre… des points communs. Le cinéma d’art et d’essai, Arnaud Despleschin à l’époque de « Comment je me suis disputé… », Mathieu Almaric, Emmanuelle Devos, Chiara Mastrioani. On ne parlait pas d’eux, en ce temps-là ou très peu. Et je m’étais entichée de Katherine Mansfield, lui lisait Virginia Woolf comme d’autres feuillettent Voici. Il pouvait discuter de sujets débiles jusqu’à plus d’heure, histoire d’argumenter et je suivais, histoire de contredire. Alors on s’est apprécié, on s’est plu, troublés l’un par l’autre. Ca me titillait vous pensez, mais la petite lanterne dansait sur ma tête, nan, nan, nan, fifille.
Il m’a fait la cour à sa façon, un peu spéciale. Un jour il s’est approché et m’a abordée de front, ni gauche, ni timide. On était en avril, il faisait doux, le soleil tiédissait la peau. Il a dit, naturellement :
- Je suis amoureux.
- Magnifique, j’ai rétorqué, enfin vous avez passé le cap. Votre amie s’efface doucement.
Il est resté planté devant moi, l’air renfrogné, sans un mot, et j’ai compris. Ouais bon, pas confortable comme situation. J’ai pirouetté, un savant quart de tour vers ailleurs, plus loin, à part.
Il a acheté des fleurs, pas un bouquet énorme avec un billet et un petit cœur accroché sur la feuille de papier glacé. Trop clinquant, pas adapté. Fallait apprivoiser Emma (Bovary pour ceux qui suivent pas). Il a acheté des primevères attachées avec de la ficelle qu’il a coupée. Il a disséminé des petites flaques jaunes dans des verres, çà et là. Je l’ai interrogé, il a expliqué :
- Si je vous les offre vous allez refuser, j’en mets partout, ça égaie, vous ne trouvez pas ?
J’étais décontenancée, ébaubie.
Un jour, il a dit :
- Ca y est j’ai rencontré quelqu’un, je vais vous la présenter.
Et je l’ai vue, elle était jeune, belle, douce, très agréable et amoureuse. J’étais heureuse pour lui, un peu jalouse.
Pour moi tout était clair. Chacun son doudou et vogue la galère. Il ne me tournait plus autour, clean comme situation.
Et puis je l’ai vu s’intéresser à des gamines de 18 à 25 ans, toutes celles qui passaient à sa portée. J’ai assisté à son manège, interdite. Il était lourd, fatigant, dérangeant. Les filles trépignaient, rougissaient, déguerpissaient. J’ai fait la remarque, c’est quoi cette attitude vis-à-vis de votre nouvelle amie, de ces filles, c’est pas top !
Il m’a tourné le dos, immédiatement pour fermer la fenêtre. Comme si l’air dans la pièce l’étourdissait. Et gardant la main sur la poignée, il a susurré :
- Si je drague toutes ces filles, c’est parce que vous ne me laissez pas vous faire la cour !
Ca ne pouvait pas continuer, je vous dis.