J’ai déjà parlé des voyantes et de leur boule de cristal dans un article que j’ai intitulé " les prédictions de Mme Irma". Mais c’était fantaisiste, j’extrapolais à partir d’une image, je jouais les pseudos devineresses, les rassurantes. En fait je ne racontais que ce que chacun à envie d’entendre, des promesses de félicité.
Cette fois, j’observe les femmes du voyage, celles qui opèrent en groupe dans les halls de gare. Au milieu d’une foule bigarrée qui va et vient, pressée, fatiguée, énervée, elles choisissent une personne, comme ça au hasard. Enfin, pas tout à fait. Je ne sais pas comment ça fonctionne, c’est l’instinct, le fluide. Elles ont l’air de mendiantes, portent des robes longues, informes, et se parent de breloques. Elles ont l’accent traînant des gens de l’est, des voix douces, apaisantes, et semblent supplier humblement. Mais quand elles arrêtent un passant, elles le tirent par la manche et l’obligent à stopper sa course. La voix se fait soudain plus forte, décidée, persuasive. Un conseil, si cela vous arrive et si vous êtes vulnérable, bouchez-vous les oreilles, ce qu’elles ont à dire se vérifie parfois. Alors bien sûr, elles peuvent annoncer d’heureuses nouvelles, de quoi bondir au plafond. Eh bien d’accord, cela va arriver, n’est-ce pas, alors que vous soyez au courant, par avance, n’est pas important.
Mais j’ai deux mauvais exemples. Deux personnes de mon entourage qui ont accepté d’écouter. Parce que ce jour-là, elles n’étaient pas pressées et curieuses, ou amusées. Peut-être que la pression sur la manche s’est faite insistante et le ton sans réplique. C’est l’étonnement qui les a paralysées. A l’une, on a révélé que son mariage était en sursis, qu’elle ne finirait pas ses jours avec son compagnon de l’époque. Un an après, elle divorçait. A l’autre, on a appris qu’elle n’atteindrait pas l’âge de soixante ans. Elle a soufflé soixante bougies il y a trois mois, et aujourd’hui, assommée par les morphiniques elle attend que quelqu’un là-haut décide de la rappeler.
Pour ma part, je suis lâche, je rentre les épaules, je scrute le sol, et je fuis. Le futur ne m’intéresse décidément pas. Le préparer, un peu, me suffit bien. Vive le présent !