Gaby a cinquante quatre ans. Elle est dépressive et c’est la faute à sa vie. Il y avait un père autoritaire, une mère soumise et Gaby au milieu. Gaby dévouée, inhibée, annihilée. Depuis toujours. Ca c’est arrêté l’année dernière quand les parents sont partis. Gaby s’est retrouvée seule avec le vide. Ca ne remplit pas une existence le vide. Gaby ne s’est jamais demandée ce qu’est la vie et si ça servait à quelque chose de la combler. Elle faisait les courses et supportait les jérémiades, elle ne pensait à rien d’autre.
Elle a toujours été coincée sexuellement, les propositions des hommes claquaient comme des affronts. Alors ils se sont détournés, même les plus courageux, les plus persévérants.
Les amies de Gaby ont son âge et ses idées. A plusieurs elles se soutiennent. Il y en a une qui habite en France, à l’étranger. Elle a une autre mentalité et des projets, un mari, des enfants. Elle ne se morfond pas dans un trou perdu de Bavière. C’est un paradoxe mais il est plus facile de lui confier ses soucis au téléphone, que de s’adresser aux copines en tête à tête. Parce qu’elle ne voit pas, elle devine seulement. Ca préserve la dignité, ça évite l’humiliation. De plus, elle a du recul, elle apprécie mieux la situation, elle réagit, elle s’étonne, elle s’énerve. Elle oblige Gaby à réfléchir.
Le problème de Gaby aujourd’hui, c’est son travail. Avec la crise tout s’est compliqué et elle risque sa place. A son âge, en Allemagne normalement on ne peut plus la licencier. Mais il faut que l’entreprise ait signé la convention, ce qui n’est pas le cas. Alors on la harcèle, c’est sournois, c’est vicieux. Ils ont commencé par diminuer son temps de travail, d’une journée puis deux. Pendant dix huit mois, elle aura une compensation versée par l’état, ensuite plus rien. Comme elle travaille moins, on a collé des heures supplémentaires à une collègue. Logique, non ! Et vexant. On lui a demandé de peaufiner son allemand. Parce qu’on a crée une nouvelle langue allemande; c’est l’ancienne revisitée. Et Gaby ça la gonfle, vous imaginez vous, un nouveau français avec des mots au goût du jour. Et d’autres mis au placard. Elle s’est plainte au chef. Elle aurait pas dû. Ca n’a pas plu. Elle a intérêt à se surveiller, à prendre sur elle, sinon…
Sinon, pour se défouler Gaby, elle a le yoga. Et l’amitié. Quand le stress monte et que ses yeux s’embuent, que les médicaments ne font plus d’effet, elle s’offre un billet de train pour Paris. Parce que parfois, la copine au téléphone, ça ne suffit plus. Il faut un contact physique, des embrassades, des bras autour des épaules. Quel bien fou ça fait ! Pour tenir bon et reprendre des forces et que la prochaine brimade glisse sur la peau sans toucher l’âme. Jusqu’à quand ?