Pour illustrer le thème de la semaine: Le chaos.
Je ne vais pas aborder les chaos météorologiques ou liturgiques ni même ceux qui définissent l’univers de la science fiction. Je souhaite parler du chaos intime que représente la vente d’une maison de famille. On y a toujours vécu, notre enfance s’y est déroulée année après année, été après été. Elle a connu les fêtes de famille, les barbecues entre amis, la cuisson des confitures, les dîners aux chandelles, les deuils, les inondations et les ravalements de façade. On s’est endormi dans le jardin sous un abricotier et dans l’odeur du romarin, on a vu des prunes piquées par les oiseaux, pourrir sur l’arbre. On a posé une piscine gonflable sur le gazon fraîchement coupé. On y a rêvé d’un amour de jeunesse, on y a vécu les moments forts de la fête foraine et le feu d’artifice à la fin de l’été.
Et puis les grands parents sont partis, et les parents et la tante aussi. La maison s’est refermée sur elle-même, comme une paupière sur un œil. Les volets sont clos et la poussière se dépose consciencieusement. Les araignées tissent leurs toiles. Les peintures s’écaillent et le portail rouille. Ca sent le refermé et le moisi. Trop de charges, trop de frais. Trop de souvenirs enfouis. C’est décidé, on vend.
Avant, et durant quelques années on décide de louer. Pour apprendre à se détacher doucement, pour contourner le chaos. Pour se faire croire que c’est plus facile. On débarrasse un peu. Le locataire n’est pas exigeant, il accepte qu’on entasse nos bricoles dans la cave.
Et vient l’épreuve. Vider les meubles, porter livres et bibelots à la brocante, démonter des armoires, rouler les tapis, préparer des sacs pour la déchetterie. Le bois d’un côté, les plastiques, le verre, le tout venant incinérable. Affronter le regard curieux des voisins : « vous vendez, vous louez ? Parce que je connais quelqu’un que ça intéresse. Vous pouvez me réserver la table et les chaises, ça ira bien dans mon salon. »
Que dire des lettres, des photos, des diplômes des récompenses, des tableaux exécutés par nos chers disparus. On jette, on stocke, on offre? Est-ce que ça va réellement faire plaisir ? C’est tout un drame, un crève-cœur. Si on enterrait de nouveau cette vie par nous exhumée.
La maison est nue, les pièces paraissent immenses, nos voix résonnent dans les couloirs. On tourne en rond une dernière fois parce que le chaos est dans nos têtes. Tout se bouscule, tout se mélange et on refuse. D’avancer, d’évoluer, de lâcher prise. Pourtant ça vient d’un seul coup, à l’agence immobilière. Parce qu’on dépose les clefs, que les visites commencent et qu’il faut contacter l’expert et le notaire. Alors on se dépêche, on a hâte que ça se termine, on bâcle les dernières formalités. Et on se pose dans un coin, on a une larme, on se sent lourd, on attend. Que passe la boule enkystée dans nos estomacs. Qu’elle foute le camp, et emporte le vertige qui nous étourdit.
Il est temps de repartir, de rebondir. De vivre.