C’est la mode ou c’est dans l’air du temps, aujourd’hui on vend les souvenirs des gens connus aux enchères. Après Yves Saint Laurent et Gérard Oury, c’est au tour de Jean Marais. On éparpille des tranches de vie pour le public ou pour l’argent, pour les deux à la fois. Ce sont des meubles d’époque, de style ou exotiques, des tableaux, des objets, des lettres, des photos qui partent aux quatre coins du globe.
Qui sont ces acheteurs, de riches investisseurs, des collectionneurs avides, des admirateurs éperdus, des curieux ? Pour les petites choses, ce sont vous et moi. On se dispute une signature, un mot écrit à la va vite sur un bout de nappe, un stylo, un cliché dédicacé. Je me demande ce qui nous motive. Souvent la veille du grand jour, les organisateurs permettent les visites. Ce qui doit partir est assemblé dans des salles et on vient voir. On bave devant les plus belles pièces comme pour s’approprier un peu de la vie des grands. Comme quoi quand on dit qu’on est tous égaux face à la mort, c’est faux. Les célébrités, les people, poursuivent leur chemin grâce à ceux qui achètent ou rêvent devant les fragments de leur passage ici-bas.
Les coucous, tapis bleu et rose d'Henri Matisse appartenant à Yves Saint Laurent
Quand nos parents décèdent nous faisons le tri. Il y a ce qu’on jette et ce qu’on enfouit dans des sacs ou des valises pour que les enfants sachent, plus tard. Il y a ce qui trône sur nos murs et sur nos étagères, ce qui nous rend fiers. Parce que c’est une partie de nous, notre bagage, notre histoire. Et pour les chanceux, les nantis, les fans, il y a la trace de ceux qui ont compté dans le monde de la culture ou de l’art.
Pourquoi entrent-ils dans nos vies après leur mort, pourquoi cet engouement, cette volonté de les avoir à nous, un peu ? Je parle de nous les modestes, pas des m’as-tu vu qui amassent à partir des collections des autres. Il ne s’agit pas seulement de se vanter ou de faire de l’argent, il me semble que les raisons sont ailleurs.
Nous aimions ces personnes, nous les admirions de leur vivant. Mais la mort nous les a rendus proches, accessibles, abordables. Elle crée l’illusion de l’intimité, ces gens sont des nôtres. C’est un honneur qu’ils nous font. C’est un privilège que nous leur accordons. Leur deuxième vie, éternelle, démarre. Il se trouvera toujours quelqu’un pour raconter l’histoire du bibelot, du tableau ou de la lettre plaquée sous verre que conservait maman. Au fil des générations, on oubliera les exploits de l’arrière grand-père. On jettera peut-être des photos, des diplômes. Mais on gardera intacte la trace de l’inconnu célèbre qui compte tellement encore aujourd’hui.
Tableaux de Raoul Dufy appartenant à Gérard Oury mis aux enchères les 20 et 21 avril 2009. Les plus abordables sont partis à 5000 euros.