L’ANPE, on ne dit plus comme ça aujourd’hui, on parle de Pôle Emploi. Ca fait lointain, ça fait pôle sud, pôle nord, ça veut dire que pour s’y rendre faut s’équiper. De bonnes chaussures d’abord, car l’agence dont vous dépendez n’est pas forcément celle qui se trouve au bas de chez vous, sectorisation oblige. Il faut prévoir aussi d’y aller l’estomac vide, ne rien boire avant de partir, sinon il faudra serrer les sphincters et garder pour soi l’envie pipi. Eh, c’est le plan vigipirate, pas le droit d’aller aux toilettes, qu’est-ce que vous imaginez, vous les chômeurs ! On n’est pas là pour vous dorloter. Achetez-vous des couches culottes, il n’y a qu’un rendez-vous par mois, c’est pas la mort !
N’attendez pas qu’on vous conseille ou qu’on s’occupe de votre recherche. Les employés ne sont là que pour vérifier que VOUS recherchez effectivement du travail, pas pour vous orienter. Depuis la fusion ASSEDIC ANPE, les serveurs ne peuvent répondre aux demandes. C’est trop lourd, ils ne sont pas conçus pour ça. C’est comme ça, c’est tout. Et puis les logiciels sont incomplets, alors si toutes vos attentes ne sont pas prises en considération, c’est normal, que voulez-vous !
Surtout, surtout, ayez toujours le réflexe d’un sourire, d’une parole aimable. Pas de trépignement, de doigts pianotant sur le bureau de l’employé qui vous reçoit. Il faut maintenir le contact, ce fil ténu sur le chemin de l’embauche. Exercez-vous dans votre salle de bain, prenez la voix d’aéroport, mesdames, messieurs, ladies et gentlemen… Vous verrez ça marche.
Enfin, sachez que ça peut être dangereux, brutal, hargneux. Sauvage parfois. Vous avez l’air d’un bébé Cadum abreuvé à l’eau d’Evian et lancé dans un monde de brutes. Mais il faut vous endurcir à l’intérieur. Le chômeur, ce spécimen en voie d’extension, cet autre qui vous ressemble, pète un câble de temps en temps. Il cède à la mode d’aujourd’hui. Il prend le directeur d’agence en otage pour des motifs des plus futiles. Avec l’appui d’un comité de soutien, il proteste contre sa radiation, ou ne comprend pas qu’on lui réclame 2000 euros dont il aurait bénéficié à tort. Il campe sur ses positions jusqu’à ce qu’une solution lui soit proposée.
C’est le moment, je ne sais pas pour vous, mais moi, je choisirais cet instant-là pour tailler la route. Sortir, respirer l’air pollué des bouchons de Paris, c’est toujours plus agréable que le spectacle de la détresse humaine. De toutes façons, du travail, yen a pas, et le mois prochain, faudra se blinder et revenir. Pour faire son petit numéro de clown au milieu des pingouins dans le grand cirque du Pôle Emploi.