Elles étaient deux, installées derrière moi au cinéma. Et elles piaillaient en attendant le début du film.
- Ouais, t’as vu, elle a enfin décidé de le quitter.
- C’était pas trop tôt, le pauvre avec la tronche qu’il avait.
- J’osais pas le dire, il était moche, t’as raison.
- On se demande ce qu’elle lui trouvait, j’avais mal pour elle.
- D’autant que tous ses mecs d’habitude, ils sont plutôt mignons, ils sont pas de la loose, quoi.
- Ouais et tu te rappelles à la soirée brésilienne, comme elle s’est dépêchée de le remplacer.
- Faut dire qu’Eric est super beau gosse, attends, t’as vu l’autre à côté !
- Ya pas photo.
Alors là je m’étais retournée. Des fois qu’elles aient eu l’intention de me plomber le film, j’avais envisagé la solution repli, quatre rangées plus loin. Et puis j’avais imaginé des minettes, dix sept, dix huit ans, des minis et des bottes, des yeux charbonneux et des cheveux lissés au fer avec des doigts qui jouent dedans. Eh bien, j’avais eu le regard bloqué en vol. Mes nénettes approchaient de la trentaine, c’était dans la tenue, déjà classique, déjà dadame, et dans l’économie de gestes. Dans l’absence de maquillage et la dureté du regard. Les voix aigües et excitées tranchaient avec le look. Elles m’avaient dévisagée un instant, et avaient baissé la voix comme pour me punir de mon indiscrétion. Je n’avais pas demandé mon reste, j’avais obtempéré en fixant l’écran. Et c’était reparti de plus belle.
- C’est pas facile d’aller sur MSN, je te jure, pour communiquer.
- Ouais, les types, ils trouvent toujours qu’on est trop mystérieuse, qu’on n’en dit pas assez.
- Ils sont vite collants, moi je les bloque, c’est pas cool mais ils sont lourds.
- Moi, j’ai du mal, c’est pas comme ça que je rencontre des mecs d’habitude, et je sais pas si j’ai envie de les voir tous ces nazes.
- Faut en prendre et en laisser, t’as qu’à essayer une fois.
- Et toi, t’en penses quoi ?
- J’sais pas pour le moment j’ai Walter.
- Ah…
J’avais envie de cogner dans le tas, de leur écrabouiller le nez. Je ne sais pas si c’était ma cinquantaine envieuse, mes kilos superflus ou l’approche de la ménopause mais il fallait que je me les fasse. La salle a été plongée dans le noir, elles se sont tues. Quand la lumière est revenue, elles avaient déjà quitté leurs sièges, en prévention. Comme si elles avaient redouté la haine d’Attila.