Quinze heures trente, ce trois mai, Plaza de Cibeles, à Madrid. La CNP (cuerpo nacional de policia) quadrille la place. Le temps est à la pluie mais hésite encore. Un peu comme nous qui ne comprenons pas. Autour de la fontaine, on établit des tréteaux comme la tour de guet d’un château fort. Cybèle rayonne sur son char, elle se doute que l’assaut sera bienveillant, c’est habituel et systématique en cas de victoire. Au carrefour, les aficionados se jettent devant les voitures, déroulent des banderoles et hurlent : Viva Real ! Ils masquent les feux et s’en moquent. L’heure est à la joie.
C’est le déclic, pour le ciel, pour nous. Une pluie drue et franche s’abat sur la ville, des vendeurs de « paraguas » nous barrent le chemin, une foule emmaillotée de blanc déferle depuis la Alcala, hissant banderoles et fanions. La guardia civil filtre le passage, fouille les sacs. Le carrefour est brusquement envahi, les voitures stoppées net font demi-tour. De touristes se prennent en photo au milieu de la « calle » juste avant qu’il n’y ait plus de « calle ». Avant que la place ne soit qu’un concentré de « felicidad, alegria, risa ». Avant que chacun ne s’oublie en tout le monde. Et que le car n’arrive de Santiago de Barnabeù, le stade madrilène, convoyant les héros de la trente-deuxième ligue d’Espagne, les tombeurs de Bilbao et du Barça.
Laissant Madrid aux madridistas, nous retournons à l’hôtel, tout près de là. La una et la cinco retransmettent l’événement en direct. Des journalistes interrogent la gente, des ballons flottent au vent, courbent sous la pluie. Dix-neuf heures. En studio, on piaffe, alors ils arrivent ? Oui, ils sont là, Casillas, Ronaldo et tous les autres, sur le toit du bus. Ils grimpent sur l’échafaudage, drapeau levé, embrassent la foule. Pluie de confettis, flashes, pops des canettes de coca. Casillas ceint la déesse Cybèle du drapeau de l’équipe, répond de bonne grâce à la bimbo de la télé. Ma minute culte de française, est d’apercevoir Benzema haranguant la foule d’un : gracias a tu ! approximatif.
D’un coup tout disparait. Les tréteaux, la foule, la pluie. Madrid remise sa victoire dans un tiroir aux souvenirs. La marée blanche inonde les bars de la Alcalà, les couvrant d’écume de cerveza Don Miguel. La nuit sera longue et chaude, malgré la fraîcheur de mai. La fête, une pause, et mettre de côté, les soucis du pays.
Quelle que soit la fête, quelle que soit la pause, parviendrons-nous à résoudre les nôtres ?