L’agitation d'une foule martelant le sol en tous sens comme se croisent les fils sur la trame d’un métier à tisser, les voix suaves échappées des hauts parleurs, les tortues empilées les unes sur les autres, dans les bassins tropicaux aménagés au cœur de la gare, l’inspirent. Moi aussi, postée pour le photographier. Il a pour obsession de capter une atmosphère, un paysage, de saisir un geste, une attitude, dresser un portrait. Il rêve d’accrocher de la magie, de l’étrange, l’essentiel de la beauté, la pureté, la laideur. Il crée de mémoire ou s’applique à restituer ce que voient ses yeux. La pointe de son crayon glisse sur la page, traçant des courbes ou posant les mots qui viennent à l’instant où le jour décline, les voyageurs s’affolent, et sa vie à lui… est pleine de grâce.
Son costume ajusté et son air sérieux trompent le passant qui le croit rigide et solitaire, un rien dédaigneux. Et s’imagine que cette gare atypique et végétale, en plein centre de Madrid, l’intrigue peu. Ne peut comprendre que les mots, les lignes sont suspendus aux palmiers et aux escaliers roulants, aux arcades, au toit métallique et vitré, aux panneaux indicateurs, aux langages cosmopolites qui s’entrecroisent. Au crissement des valises et à l’odeur de frite et de hamburger provenant du fast food. Ne peut admettre qu’il soit aisé de tromper la faim, la soif, et les heures filantes. Ne sait pas voir que cet état, proche de la lévitation et de l’extase, fait de l’artiste un Prince au-dessus de la mêlée, dont l’existence toute entière est contenue dans ces moments-là.