Anna Sam racontait les tribulations d'une caissère de supermarché, et plutôt bien. Moi, j’expérimente celles de la cliente lambda qui fait ses courses deux fois par semaine et remplit son caddie du minimum vital si on excepte les gâteaux, chips et autre coca. Ligth, le coca je précise. Premier réflexe, se munir d’une pièce d’un ou deux euros. Sinon attendre, patiemment et avec le sourire, que le vigile à l’entrée ait fini de papoter avec une rayonniste, une dame âgée ou deux agents venus interpeller un chapardeur. Et qu’à l’aide d’un crochet à la Mac Gyver, il libère un charriot.
Naviguer entre les rayons aux heures de pointe ça s’apprend. Le chaloupé du client est une danse. Elle dépend du partenaire, de sa volonté, de sa jeunesse, de sa disponibilité. Or le partenaire, c’est le caddie. S’il grince, couine et s’enraye, l’évolution sur la piste a tout d’une valse avec Charlot. Dans les rangées, il y a toujours un monsieur hésitant entre deux marques de lessive, une maman handicapée par une poussette et une grand-mère armée d’une canne, prête à vous pourfendre si vous la bousculez. Il y a aussi des personnes en fauteuil, rudement agiles et alertes et qui sourient à tout le monde. Ce petit groupe est sympathique, il vous retarde un peu, c’est social tout ça. C’est du mouvement autour de vous, car vous n’êtes pas tout seul, bon sang.
Mais ces cartons empilés juste devant la rangée des yaourts zéro pour cent que je préfère, et qu’l faut pousser, à moins qu’un magasinier ne soit en train de réorganiser le rayon, ça me défrise. Et plus frisée que moi, ya pas ! De même, quand ça fait trois fois en quinze jours que je cherche des piles alcalines, que personne en magasin n’a remarqué la vacuité du rayon, ça m’agace. Il y a aussi des moments de grâce, quand je discute avec le poissonnier. Il me raconte comment on pêche le saumon sauvage, qu’il est ridicule de l’acheter plus cher que le saumon d’élevage. Il est amusant, avec ses gants, son tablier en plastique et son petit bonnet, il a l’air d’un filet de cabillaud sous vide. Je le lui ai dit une fois, il m’a répondu du tac au tac : ça vous fait rire, c’est déjà pas mal. Il le sait, ces petites conversations de comptoir dopent le moral et font marcher le commerce.
A la caisse, il faut appréhender la situation comme une scène de crime. Etablir un périmètre de sécurité, photographier les corps, relever des empreintes. Quand il n’y a que deux caisses, que l’une d’elle est prioritaire, ne jamais la prendre. Car si vous vous plantez devant, ils arriveront. Les aliens que vous avez trouvés si sympathiques, il y a peu. Ils vous phagocyteront sans pitié. Et si vous râlez, on vous reprochera d’avoir choisi cette file. Parce qu’entre-temps évidemment, tout plein d’autres caisses auront ouvert, et que personne ne comprendra où est votre problème.