Puisque tu m'obliges à la solitude, je me réfugie dans ma carrière aux "vampires". Assis en tailleur, à même le sol, je soulève de la poussière blanche avec mes chaussures. Je me détache, je dénigre, je détruis l’idole. J’essaie, Bon Dieu, j’essaie. Et j’éternue, la craie emplit mes poumons. Il y a une niche creusée dans la roche au loin et qui borne le regard. C’est un repère que je m’impose. Il est incontournable. Je n’irai pas voir à l’intérieur. Je ne dérangerai pas les chiroptères. Ils hibernent, immobiles, depuis le début de novembre. Je préfère les imaginer dans leur cache, froide, humide, sans courant d’air. Ils sont en léthargie, leur cœur bat lentement. Leur température interne est tombée à quatre degrés. Enveloppés dans leurs ailes, ils referment leur manteau. Combien de temps vivront-ils ainsi, protégeant les membranes de leurs ailes et leurs oreilles, fines comme du papier ?
L’amour m'a donné de grandes ailes ouvertes. J’ai des périodes délirantes au cours desquelles je me sens invincible. Je suis capable d’exécuter des rotations, des ellipses dans les airs, d’inventer des joutes horizontales, de déployer un manteau de chair qui apaisera le corps de ma bien-aimée, comme les membranes de ces renards volants, compagnons de ma retraite, s’étalent et se plient sur leur fourrure duveteuse et engourdie. Mais elle se débarrassera de moi quand elle le décidera. Un jour elle en aura la volonté. Je ne suis ni aveugle, ni sourd, je l’ai parfaitement compris.
Combien de temps vais-je tenir, apprivoisant la peur ? Quand ressentirai-je une sorte d’harmonie, d’unité, d’équilibre ? Je ne veux plus voir les fantômes projetés sur les parois de la cavité par la flamme de ma lampe à pétrole. Ces spectres m’épouvantent. Ils me renvoient l’odeur de soufre de nos ébats. Tu ne t’es jamais offerte. A aucun moment tu n’as baissé la garde, ouvert une brèche dans ton cœur. Je n’ai pas osé t’imposer mon amour. Tu aurais compris que ma rage, ma violence, mon désir ont atteint un paroxysme, que je suis aliéné. Actuellement, je ne suis pas seul, je ne dois pas déranger mes amies, les chauve-souris. Je ne vais pas hurler.