Exercice effectué d'après photo, selon la consigne de Miletune
CHAROGNARD!
Ils sont derrière moi, je les sens. Tous ces chasseurs de photos volées, ces tripatouilleurs de l’objectif, ces rampants constrictors. Comme si les rédactions n’avaient pas assez de photos de ma frimousse. Avec celles qu’on leur vend de l’étranger et celles qu’elles stockent dans leurs archives, elles disposent pourtant de matériel. J’aurai trouvé plus correct que ces écornifleurs prennent rendez-vous. Qu’on définisse ensemble le genre et le lieu.
J’ai le cheveu splendide, la main et le pied aussi. Cela me vaudra peut-être un cliché mystère, tout en nuances. La crinière chatouillée par le vent, la main virevoltante et le pied charnu offert à un soleil tiède. Le pied... Plein shoot dessus, je ne rêve pas. J’ai bien perçu un flash. Mais c’est qu’il est assuré mon pied, j’ai passé contrat avec Akiléine! Les charognards… Je ne me retournerai pas. Pour ma bobine, je veux être payée.
Je suis en vacances, ils ne manqueront pas de zoomer sur le Gala que je feuillette nonchalamment. Ouvert à la page « trois kilos à perdre avant l’été ». La feuille de chou va titrer : Mansfield a grossi ! en première page. Fatal !
La chemise à carreaux, pas top ! Mais ils ne tablent ni sur de la photo d’art, ni sur des poses lascives. Les carreaux bleus et blancs offrent une touche zen, décontractée, simple. Bon ça, pour le public, non ?
La branche de mes lunettes. Ca m’embête un peu qu’on pense que j’ai besoin d’aide à la lecture. Je vais me tourner, discrètement, qu’on devine à peine. Qu’on oublie. Que tout se confonde dans mes cheveux. Brillants, lourds, soyeux, mes cheveux. Un atout certain. Que m’a affirmé la secrétaire ? L’Oréal voudrait me contacter. Oh, je suis débordée !
Une petite chose me dérange, le décor. Quand on est connue, les bords de plage paradisiaques c’est obligatoire. Pour le business, pour la notoriété. Ils auraient pu attendre, je pars aux Maldives la semaine prochaine ! Ce gazon vert pomme et miteux qu’on dirait planté au bas d’une tour dans une cité HLM, ne pouvait être pire !
Quant au banc, non mais vous avez remarqué, banal, sans caractère. Comme ceux qu’on achète chez ce marchand de meubles nordique. I quelque chose. Si jamais ils osent prétendre qu’ils m’ont photographiée chez moi dans mon jardin et sur mon banc ! Je nierai, ce n’est pas moi sur la photo. Quelle idée de persécuter, dans le dos, une star qui se repose.
Tiens, je viens de voir ma photo dans « Chic et Choc » en quatrième de couverture. Elle illustre un article intitulé : « Que lit la France en vacances ? ». Ma chemise à carreaux est quelconque et le vent a tourné les pages du magazine. On aperçoit des voitures, un habitacle. Comme si j’étais passionnée par Auto Moto. Il faut croire que les paparazzi m’ont shootée sans me reconnaitre sur ce banc. Ou alors si… Mais ils n’ont pas osé citer mon nom…. Ou pas voulu me déranger... Me mettre mal à l’aise? Me critiquer?