Pour Michel sur le site de E-criture, un texte avec pour incipit, l'interrogation suivante:
Se peut-il que ce soit mon rêve qui continue ?
Je ne m’attendais pas à le revoir et le temps avait glissé sur mes projets. J’avais enterré mon rêve d’avenir à ses côtés, et découvert la vie. Mon parcours avait été lisse, de ceux qu’on bâtit sans se poser de questions, avec le sentiment d’accomplir ce qui tient à cœur, et donne à l’existence sa saveur. Mais je savais au fond, qu’il ne se passait rien. Rien ne vibrait, ne résonnait, ne me comblait réellement.
Ce fut un déclic, comme le pops d’un bouchon de champagne. Assister au remariage de ma meilleure amie semblait une promesse, quelque chose de nouveau était en marche. Comme si le passé allait soulever les barrières de l’ennui. Je déteste les mariages, trop de préparation, d’organisation, de monde à saluer. Trop de rêves à matérialiser. Mon amie rayonnait, elle virevoltait, consciente de son charme et de sa sensualité. Elle était heureuse, inutile d’afficher jeunesse, romantisme ou ingénuité. Elle aimait la fête et les invités étaient venus pour s’amuser, avant tout. Son bonheur me faisait plaisir mais ne réussissait pas à me contaminer. Je n’étais pas vraiment avec elle. De légers frissons, agaçants comme les pattes d’une mouche me parcouraient la peau. Car assis à trois rangs de moi, à la mairie, il y avait cet homme, fixant ma nuque. Je savais que c’était lui, surgi du passé comme si cela faisait partie du protocole, du déroulement implacable de la cérémonie. Pourtant, sa présence avait quelque chose d’incongru ce jour, précisément. Je n’osais pas prononcer son prénom, même tout bas. Je m’étais retournée furtivement, avais retrouvé cet air buté, ce regard clair, tour à tour fuyant et lancé dans ma direction, tel un glaive. Il avait souri, pas à moi, mais au vide. Puis il était sorti, alors que les flashes crépitaient sur les signatures des époux.
Il attendait dehors, sous la pluie, que déboulent chapeaux et costumes. Il avait tombé la cravate, comme on tombe un masque. Le vent soulevait ses cheveux qui commençaient à grisonner. Les traits de son visage étaient apaisés. Comme au poker quand la partie touche à sa fin, il s’était découvert. Je réalisais que nous jouions un jeu tous les trois, lui, mon amie et moi. Il restait à abattre quelques cartes, à désigner un vainqueur. Tandis que je l’observais, interdite et perdue, la mariée s’avança vers moi, délaissant son époux un instant. De petites lucioles allumaient son regard, ses joues étaient transparentes, finement rosies. Elle plaqua sa voix chaude et mouillée sur nous, comme un baiser :
- Je savais que je ne m’étais pas trompée. Quand j’ai compris Olivier, j’ai préféré que nous divorcions et tu n’as pas vraiment discuté. Aujourd’hui je vous ai invités sans vous prévenir, l’un comme l’autre. Sally et toi, ensemble, c’est ce qui peut arriver de mieux, non ?
Je ne pense pas que mon rêve continue, cela semble trop simple. Il a reparu furtivement puis il s’est arrêté. Je ne suis plus dans le rêve, mon existence a retrouvé de l’arôme et du goût. Ce n’est pas parfait, c’est beaucoup mieux que ça.