Le casse tête cette semaine chez Sherry est: qu'est-ce qui te fait plaisir?
Elle ne sait pas d’où vient cette boule au creux du ventre ni pourquoi. Comme si elle attendait quelque chose ou quelqu’un, que c’était sans cesse remis à plus tard. Que sa vie, tous les événements de sa vie ne tendaient qu’à ça. Elle se lève le matin, se fait belle, s’entretient grâce au sport, mange des glaces aussi, regarde la télé ou traîne dans les magasins dans l’attente d’un jour précieux. Comme si elle vivait ce jour tous les jours, qu’elle s’y préparait en se disant ce sera aujourd’hui. Si ce jour arrive, ça lui fera plaisir.
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Il faut se dire qu’écrire c’est du sérieux, que c’est vital pour soi. Trouver un sujet qui ne soit pas banal, quelque chose qui pète. Et surtout écrire tous les jours, construire des phrases à s’étourdir. Avancer dans l’oubli de soi, pour se réinventer. Se défaire d’une vie lisse, prévisible, conventionnelle. Il y a tant de choses à raconter et qu’on n’a pas vécues forcément. Décrire des émotions que l’on n’a jamais ressenties. Montrer qu’on souffre atrocement. Souffrir atrocement et raconter qu’on n’a jamais rien éprouvé. Y parvenir lui ferait plaisir.
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J’ai besoin d’une attestation de dépôt, au service des impôts. J’entre dans une petite salle avec deux bureaux en vis-à-vis et une fenêtre étroite sur la cour. Des ordinateurs cachent la vue et deux types ahuris et mal rasés me demandent ce que je veux.Un tampon et une signature sur la première page photocopiée du bilan comptable suffisent. Eux ne le pensent pas. Il faut trois plombes pour rédiger ce document et l’ordinateur beugue au moment de l’impression. J’avise des coquelicots au mur et la montagne comme une invite. Un calendrier avec des rocks stars et un avis de mise en demeure traînent sur le bureau. Le type explique que ça beugue, j’avais compris. Ca ne fait jamais ça d’habitude alors le collègue décide d’intervenir. Il rédige ce fameux document, j’entends le chuintement de l’impression. Le type se tire laissant l’autre le récupérer et me l’apporter. Si on pouvait se passer de paperasse en France, ça me ferait plaisir.
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Elle l’a revu sur une vidéo, il y a deux jours. Tout gris et blanc avec une tête de PDG, de type qui en voulait et qui a réussi. Costume gris comme les cheveux, et le même sourire, le même phrasé qu’avant. Assurance, séduction. Son sentiment ? Il est bel homme, lui aurait-il plu dans la vie de tous les jours ? Elle se dit que n’importe lequel de ces types au job décisif, important, l’aurait entravée. Elle aurait été l’épouse de, celle qui suit et se met entre parenthèses. Difficile d’exister dans l’ombre d’un aigle. Ca ne lui aurait pas fait plaisir.
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Repas avec Madame Sarfati. Amusante, sympathique, ouverte, elle parle de la bamitzva de son fils, les vingt tables, autant de vases à fleurs, la réservation de la péniche, le thème de soirée, le poker peut-être… Elle parle chiffon et l’autre s’emmerde. Elle ne peut pas s’intéresser à ça. Entendre citer les oncles, les tantes, la famille qui risque de critiquer, de louanger, tout ça l’énerve. L’autre n’a pas de famille, ni d’amis, ni de vie sociale. Les gens auxquels elle s’adresse le plus souvent, sont ceux à qui elle dit bonjour, comment allez-vous, par politesse sans écouter leur réponse. Si elle avait eu un parent, ce joli babla lui aurait fait plaisir.
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Dans ce bar branché, ils s’observent, se cherchent, se jaugent et jugent de leur pouvoir de séduction. C’est un clignement d’œil, un battement de cil, une geste de la main, la manière de lever son verre de rouge ou de rosé, de fourrer ses cacahuètes une à une dans sa bouche, de dodeliner du chef en secouant une longue chevelure lisse et raide. Si ces rencontres ont un sens, ça leur fera plaisir.
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Pris le métro. Tellement de monde que deux jeunes sourdes et muettes trop bavardes ont failli me fourrer leur doigt dans l’œil. J'ai éclaté de rire. Inquiètes, elles m’ont dévisagée, puis elles m'ont souri. Cela m’a fait plaisir.
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Elle s’est mise en colère contre elle-même, son impuissance, son handicap, son bras mutilé, ce pauvre moignon, tout juste capable de lever son sac. Coupé peu après le pli du coude. Impossible d’instiller les gouttes dans ses yeux tous les quarts d’heure, dans l’heure précédant son examen chez l’ophtalmo. Alors elle hurle, sa voix monte dans les aigus et ses yeux sont des lacs de colère. Malgré tout, son brushing est impeccable et la laque maintient un mouvement. Ca tangue d’un bloc sur sa tête comme un flan à la vanille. Si je l’aide, ça lui fera plaisir.
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