La pente qui menait à l’église était encombrée de voitures. Le tintement des cloches et les traînées des pas sur le gravier m’assourdissaient. Des groupes descendaient en discutant à voix basse, les hommes fermaient leurs manteaux et pressaient le pas. Les femmes tenaient leurs chapeaux.
L’église était un bel édifice, d’architecture gothique. Elle se délabrait faute de subventions. Elle avait été belle et blanche, le temps avait jauni sa base, noirci ses arc boutants. Les contreforts et les statues étaient poncés par les intempéries. Les vitraux brisés pour la plupart, avaient été comblés de verre inerte comme l’œil d’un borgne. La façade principale donnait le dos à la rue et s’ouvrait sur le cimetière qui faisait le tour du bâtiment. Les marches se couvraient de fleurs que le vent arrachait aux couronnes. Alors que le prêtre réconfortait les proches effondrés devant une motte de terre, je regardais la porte en bois plein et qui semblait neuve. J’aimais les portes massives des églises. J’aimais me réfugier dans leurs encoignures, contre les murs, ou agripper leur anneau de fer, leur poignée, s’il y en avait une, quand vivre me paraissait une corvée. Malheureusement, dans mon quartier la porte de l’église était en verre et bougonnait au vent comme une corne de brume, ce qui m’exaspérait.
J’avais de la chance, si on peut appeler chance le fait d’arriver par hasard, au cours d’un enterrement. Dans les campagnes, les églises n’ouvrent qu’en peu d’occasions : le dimanche, jour de messe, et pour les mariages, les baptêmes, les enterrements. Difficile de s’y rendre spontanément, de s’offrir une minute de paix quand le besoin s’en fait sentir. Ce jour-là, l’église était ouverte, je pouvais entrer. Sous l’odeur d’encens, de bougie et l’arôme persistant des fleurs, je percevais un relent aigre de vieilles pierres. L’air confiné avait été réchauffé par deux poêles situés dans la nef, le temps de la cérémonie. Je n’étais pas pratiquante, pas même croyante et pourtant je priais Dieu souvent. J’inventais mes prières dans les églises parce qu’on m’y avait habituée. J’éprouvais toujours un sentiment d’apaisement, quand je m’agenouillais au premier rang devant l’autel. Je croisai les mains sous le menton et examinai la nappe immaculée, le calice, les bougeoirs rutilants. J’observai les lys offrant leurs marteaux de pollen. Le silence donnait vie aux choses, je n’étais pas seule.