Elle est jeune, grande, longue, vive, a les cheveux coupés en brosse. Assise à l’unique guichet disponible, à la banque, elle porte un jean et une veste en jean. Ses lunettes sont larges, à tour blanc. On imagine une fille dynamique, dans le vent, pressée. On a tort.
Elle : Comment faire ?
L’employée : Pour profiter au mieux de vos intérêts, il faut retirer l’argent de votre ancien compte le seize et le déposer sur le nouveau ce même jour.
Elle : Alors il faut retirer de l’argent. Si j’y vais demain et que je le dépose le dix-sept, ça ira ?
L’employée : Non, il faut effectuer les deux opérations le seize.
Elle : Oui mais je travaille à Saint Lazare et mon autre compte est encore plus loin, ce sera difficile !
L’employée, imperturbable : Faites un virement !
Elle, qui s’agite sur son siège : Ce n’est pas ce que m’a dit Mr V. il m’a parlé d’une autre opération !
L’employée, voix sifflante de cocotte -minute : Mr V. est en vacances jusqu’à la fin du mois.
Nous, autres clients, assis plus loin contre la baie vitrée, cuisons gentiment au soleil de quatorze heures. Un monsieur frappe le sol de la pointe de son mocassin. J’interprète son langage, mayday, mayday, je ne sais pas s’il connait le morse mais il appelle au secours. Un autre a les fesses tout contre le bord du siège, prêt à bondir. Il se contient et pose ses deux coudes sur ses genoux, se tient la tête entre les mains. Evoque-t-il Dieu ou Satan ? Je dévisage la fille au guichet qui gère son match. L’autre lance des balles comme armée d’une raquette sur un court de tennis. Un vrai travail de banquier que de relancer ! Suivre le trajet, smasher, gagner la partie. J’entends le pas précipité des petits ramasseurs…Pardon, c’est mon voisin qui piaffe toujours.
Elle : Oui je sais. Il rentre quand, le 28 ? Alors, il faut que je retire mon argent ? Oh c’est compliqué ! Et je ne veux pas faire attendre les gens.
Elle coule un regard « je m’excuse, bientôt fini, mais j’en ai pour un moment encore » dans notre direction.
Elle : Vous dites que pour profiter au mieux de mes intérêts, il faut… Bon je vais rappeler, mais je veux tomber sur quelqu’un qui connaisse mon dossier... Parce que sinon, il faut que je raconte toute mon histoire à nouveau.
L’employée, extrêmement attentive, fronçant les sourcils et croisant les mains : Eh bien il y a Mr V. et Mme D.
Elle : Oui mais vous dîtes qu’il est en vacances ! Mme D. alors, ça s’écrit comment ? Si je l’appelle, elle saura ? Parce que c’est compliqué ! Bon vous dîtes Mme D. alors….
Elle nous toise de nouveau, se dandine sur son siège, se lève, se rassied. Un gros cabas leste ses pieds. Elle s’en saisit, se relève franchement cette fois, au revoir, se dirige vers la porte, en sautillant. C’est qu’elle est pressée ! On n’avait pas tout à fait tort finalement. Les mêmes pas sautillants la ramènent vers le guichet tandis qu’un autre client, vient de prendre le siège. Il a le soulagement coincé dans le gosier.
Elle, un peu contrite, juste ce qu’il faut, pas trop : Vous m’avez donné un reçu pour le chèque que j’ai déposé tout à l’heure ?
L’employée, une main sur la bouche : A oui, excusez-moi !
Elle, magnanime : Ce n’est pas grave vous avez tellement de choses en tête !
Elle s'en va tête haute, sûre d'elle et de son importance.