Remonter le temps, tel est le défi 101 chez Hauteclaire.
Edgar Degas: Femmes à la terrasse d'un café le soir
J’ai toujours su que j’en venais, qu’un jour j’y retournerais. Alors quand on m’a offert d’aller faire un tour chez Tortoni, j’ai cru à un canular. D’abord cela m’a vexée car les demi-mondaines y élisent domicile, mais j’avais envie de rencontrer le tout Paris. Et la machine m’a invitée. Le 22 boulevard des Italiens est le lieu où il faut être. Pas le matin car on s’y rend pour déjeuner, c’est tout. Mais le soir, il y a foule dans les petits salons, on y sert des rafraichissements dans une odeur de tabac, de gaz et de fumée. C'est une halte obligée au sortir de 'Opéra. J’adore y rencontrer des étudiants, des dandys, des gens de lettres, des politiques. Quoiqu’en cette année 1843, mon ami Flaubert est bien trop pauvre pour s'y pavaner. Et de toutes manières il s’en moque, écrire est son seul plaisir. Quant à Balzac, ses goûts de luxe et son attrait pour les grandes dames lui font mener cette vie de boulevard qu’on attribue aux dandys, il me plait observer sa bedaine rebondie que son génie fait oublier. Eugène Sue passe aussi chez Tortoni, il discute cheval avec Orsay et je les écoute en dégustant des glaces. Surtout qu’en ce moment se prépare le derby de Chantilly où l’on peut admirer ces dames et leurs belles toilettes. La mode anglaise influence tant nos grands hommes ! Et j'en vois tellement défiler que j'en ai le tournis, Dumas, Barbey d'Aurevilly, Hugo, George Sand. J’ai aussi entendu parler des bains chinois au 27, c’est un hammam de luxe, non mais je rêve. On parle déjà de bains de vapeur, aromatisés, de massages, et toute la déco est de style chinois ! Comme tout cela est délicieusement tendance !
Evidemment, les dandys refusent de fréquenter les boursiers et les hommes d’affaire qui sont d'un autre monde selon eux. S’ils savaient que dans le prochain siècle ceux-ci les détrôneront.
Moi j’adore me trouver là en famille avec mon époux et mes enfants, j’arbore des robes de taffetas, un magnifique chapeau, des gants. Et je pense au choc qu’ont dû éprouver les Rémusat ce 28 juillet 1835, quand un attentat fut perpétré non loin de là sur le passage du cortège du roi Louis Philippe qui se rendait à la Bastille.
Et la machine me ramène aujourd’hui chez moi. Loin des luxes d’autrefois et de la vie trépidante du boulevard de l'époque. Pourtant dans les cafés de Paris, boulevard des Italiens et des Capucines, flotte encore un air du dix-neuvième. La touche française, la distinction, une certaine forme de légèreté qui donne envie d’écrire n’importe quoi.