Défi 108 chez les Croqueurs de mots posté cette semaine par M'amzelle Jeanne: Fenêtres.
Au village on voit passer tout le monde. La rue principale c’est un peu les Champs Elysées, il y a les noces bruyantes, des voiles, de la dentelle et des fleurs, des claquements sur les pavés, des chants grivois et des disputes. Il y a les soirs de bal, des filles gloussent, des garçons éméchés leur courent après. Et de gros dégoûtants échangent leur salive juste devant nos rideaux. Il y a des chats sans gêne qui farfouillent dans nos pots de fleurs. C’est la raison pour laquelle on ne nous garnit même plus. Il y a les défilés, Noël, Pâques, 14 juillet et quinze août, le départ des anciens vers la maison de Dieu.
Au village, nous sommes basses et exhibitionnistes, on peut tout voir derrière nous. Nous sommes de gros yeux ouverts sur la rue et dans lesquels on peut lire la vie des gens. On peut nous enjamber et entrer comme ça, c’est comme une invitation, un petit racolage. D’ailleurs, je viens de repeindre mes persiennes, c’est mon petit botox à moi. Il fallait que je me distingue, avec les copines, alignées comme ça nous avons l’air de filles qui attendent le client.
Au village, nous soutenons les pierres qui sentent le lierre et les siècles moussus. Et nous laissons passer le vent qui aère le temps. Comment dire, c’est comme si les âmes passées s’étaient tricotées une écharpe pour mieux voyager à travers les maisons en passant par nous. Et quand ils se promènent près de nous, les vivants d’aujourd’hui soufflent une haleine chaude en passant comme pour nous embrasser.
Au village, je l’ai toujours dit, nous sommes les gardiennes, les piliers. A la fois canailles et respectables, nous entretenons le feu, nous transmettons la vie.