Le défi 110 est proposé par Cétotomatix chez les croqueurs de mots
J’enfilai mes bottes machinalement et me retrouvai sur le palier, avec les clés de la maison dans la main. Elle m’attendait dans sa voiture avec chauffeur, je détaillai sa longue silhouette brune, sa main gantée. Elle avait sur le front un épais bandeau de cheveux. Abaissant la vitre, elle cria « montez ! », sèchement. J’obéis, conquis par ses beaux yeux en amande. Je ne savais pas résister à ce ton sévère, je n’étais pas intuitif.
Nous traversâmes la ville comme on entre dans un couloir éclairé par des lucioles, nous parcourûmes des bois, des champs dans le brouillard. C’était comme franchir des miroirs, plonger dans des lacs, se noyer. C’était bondir sans se retourner, vers une destination qui m’était inconnue. Assis à l’arrière, je ne distinguais pas le trajet indiqué par le GPS, et quelqu’un déclamait sans arrêt des poèmes à la radio. J’étudiai le profil de ma voisine, son nez mutin, sa haute queue de cheval, ses jambes fuselées. Elle vapotait, la buée sentait le chocolat. Et autre chose encore, bien autre chose…
Je me réveillai contre une dune au bord de la mer. Le cri des mouettes, le bruit des vagues... Et le sable dans mes yeux. J’étais seul et sale, j’avais faim. J’avais été drogué, ma tête pesait des tonnes. J’atteignis la route, la voiture attendait. Une porte s’ouvrit à l’arrière et… J’hésitais avant de grimper, je regardais la fille. Je crus voir ses lèvres briller ; sa gorge frémir. Je me frottais les yeux, ma vue se troublait.
Je me réveillai dans une salle, à l’hôpital, on s’acharnait sur moi. « Je le perds, il revient », ces mots me tournaient autour, j’étais relié à des liquides et à des machines par des fils. Mon lit roula jusqu’à une chambre où mes bottes attendaient sous un fauteuil. Un infirmier crut bon de plaisanter : « La faucheuse n’a pas voulu de vous, vous revenez de loin, avec ces bottes, vous l’avez semée ! »