Le défi cette semaine chez JeanneFadosi est : enfances.
J’avais dix ans la première fois que je suis allée au hammam avec les femmes. Ma voisine Mme Kanhane et sa fille Atika m’avaient persuadée de me laisser faire avec l’accord de ma mère. Cela avait commencé la veille, dans l’après-midi. Atika avait quatorze ans à l’époque. Avec sa mère elle avait pilé des feuilles de henné dans un mortier. Ensuite elles avaient écrasé une pierre noire, elles avaient dit que c’était du rassoul. Puis elles l’avaient mélangé au henné pour atténuer la couleur orange de la plante.
- Allez, on te le pose ! m’avaient-elles dit.
J’avais l’impression d’avoir un casque de moto sur la tête. On m’avait plaqué un sac en plastique et un foulard par-dessus. Tu dois dormir avec, m’avait recommandé Atika. Slamma, à demain.
Le lendemain, de bonne heure, après avoir porté leur pain rond, la kesra, à cuire chez le boulanger, Atika et sa mère étaient venues me chercher. Elles avaient un grand panier en plastique avec elles. Nous avions longé le parc du Belvédère, je me souviens des amandiers en fleurs, et plus loin de l’odeur de menthe et de cumin qui flottait sur le marché.
Arrivées au hamman, elles m’avaient demandé d’ôter tous mes vêtements. Je me souviens d’avoir obéi à contre cœur, mais comme toutes les femmes étaient nues et les enfants aussi, j’avais vite oublié ma réticence. Je me souviens de ces rangées de femmes alanguies et molles, adossées au carrelage humide, des mains frottant mon crâne énergiquement. Du grand panier mystère et d’une multitude de fioles dignes du bric à brac de Mary Poppins. Du peigne et de la mousse, des enfants soufflant sur les bulles. Des heures de pause ponctuées de conversations enjouées ou emportées, dans une langue rauque dont je ne comprenais que quelques mots. De la grande serviette en éponge qui me couvrait entièrement, avant le retour au vestiaire. Et des reflets cuivrés que j’avais remarqués pour la première fois dans mes cheveux, une fois rentrée à la maison.
Vers 18 heures, Atika avait sonné à l’appartement. Ca te plaît avait-elle dit ? Yallah noud, allez, lève-toi ! et viens boire le thé. Je m’étais installée au milieu de cette famille unie pour un cérémonial rituel. On m’avait dit : shrob la teï, gib il roubs, verse le thé, donne le pain. Et je m’étais exécutée fièrement.
C’était en 1969, à Casablanca. J’habitais rue de Charleville.