Le défi 83 est cette foi lancé par M'Annette: En voiture, l'orage, la panne entre Bonifacio et Ajaccio. Pourqui suis-je partie seule?
Bonifacio imperturbable offrait son sourire de craie à la mer. En quittant la ville je ressentais déjà la peur de Jonas. Je me doutais que le ventre de la baleine était inconfortable. Le ciel obscur au loin, me parut inquiétant telle une grande bouche ouverte. J’étais happée dans un long tube digestif dont le nom officiel « N196 », ne m’inspirait guère plus que les mots trachée ou estomac. J’effectuais ce trajet seule pour oublier je ne savais quelle histoire. Avec le désir de m’évader d’une vie qui devenait enfer.
J’arrivais à Sartène sans dommage. Un ciel d’orage, une cité typique. Une citadelle, des églises, un dédale de rues entre ville haute et ville basse. Sur la place, des grands-pères appuyés sur leur cane avec aplomb semblaient préserver l’endroit des désordres climatiques. J’entendais gronder la montagne et ronfler la ville. L’une s’insurgeait, l’autre ricanait tendrement. Comme on apaise un « fou pas dangereux ».
La pluie se mit à tomber en gouttelettes innocentes et molles, lorsque je grimpais dans la montagne. Plus je m’enfonçais, plus je devenais minuscule comme érodée par la route. Engloutie par la roche dégoulinant sur le bas-côté, et luisante à présent. Qui dessinait des faces de singes, des oreilles dressées, des gencives retroussées sur des dents menaçantes. Assombrie et éclairée tour à tour par de gros nuages mamelonnés et des zébrures, des éventails de lumière éblouissante. L’eau se mit à marteler la voiture et le sol, comme autant de pieds foulant la terre. Je me sentis téléportée en Guadeloupe un bref instant, sur la Route de la traversée percée par l'orage, dans un vacarme assourdissant. Touffeur et pesanteur. La montagne perdait ses contours, de l’eau bouillonnait par ses flancs, se déversait sur la route. J’étais comme digérée par un long boyau tapissé d’un enduit grisâtre et constitué de roche orangée, de boue, d’arbustes, de bouleaux et de pins. Je m’arrêtai avant Olmeto, haletante. La voiture refusait de poursuivre. Je perçus la plage en contrebas, comme une invite, un bijou circulaire, à l’éclat magnifié par l’orage. Hypnotique. Puis il y eut un claquement sourd. Une branche vola sur le pare-brise. Une feuille détachée se colla sur la vitre comme se pose une main. Et je vis ses yeux bleus, sa bouche rose, ses dents couleur d’émail. Longiligne, fière. Inquiète et ruisselante aussi. Colomba semblait dire : laissez passer les secours, laissez passer les secours…
Paris vingt heures, porte des Lilas. Devant moi un panneau publicitaire alléchant : la Corse, enchantement et dépaysement. Au carrefour un bazar monstre, ça n’avance pas. Dehors, la pluie incessante, aveuglante. Miracle, le camion des pompiers dérange cet enchevêtrement roue contre roue. J’écoute FIP, au programe interrompu par le message des secours. Et je m’extrais d’un songe éveillé, bricolé à partir de vacances de l’an passé et de divagations personnelles.