Pour évoquer mon « grenier imaginaire » comme m’y invite Un Soir bleu dans le défi 88
Le mien serait organisé, un vrai un jardin maraîcher. Avec des carrés séparés et des touches de couleurs. Il serait parfaitement ordonné. Couvrant le sol avec des allées et des bruits de pas sur le gravier. Les visiteurs prendraient le temps de s’arrêter, de se pencher, de respirer l’odeur du passé exhalée par les souvenirs. Certains froisseraient des feuilles, ouvriraient des cahiers comme on casse une tige de basilic, comme on frotte une branche de thym en salivant par avance sur le menu du soir. Il y aurait les disques de jazz de mon père, soigneusement rassemblés, Sydney Bechet gonflant les joues sur sa trompette, tout en haut d’une pile solide, tel un tronc d’arbre à l’ombre duquel mon humeur potagère s’épanouirait.
Il y aurait un classement par années, par catégories, par photos, cahiers, objets. Ce serait rigoureux avec des étiquettes et des images, on procède de cette manière pour les graines chez Truffaut. Il y aurait des bijoux cassés, des perles disséminées ainsi que des fraises rampant au sol. Il faudrait parfois extraire de la mémoire au rangement, en plongeant ses mains gantées dans des bacs, on s'imaginerait arrachant des patates à la terre. On s’esclafferait : oh les bottes de Mamie ! et on détecterait un carré de poireaux au loin, à la simple vue des feuilles engainantes. Il faudrait empêcher le chat de mordiller les ficelles autour des journaux comme si c’étaient de jeunes et tendres pousses de persil. De faire pipi sur la menthe comme si c’était les chaussons du grand-père. Ou le contraire. On chercherait à cueillir des salades en ramassant des vêtements de poupée, à croquer des radis en mordant dans une pièce dorée, à peler des oignons en pleurant sur la photo du chien Toby. On aimerait dépoussiérer un vieux sapin et le décorer de boules afin qu’il ait l’air d’un plant de tomates. Et évacuer des chaises bringuebalantes ou des verres cassés, de la mauvaise herbe tout ça. On s’efforcerait de redresser des étagères, on lève bien les salsifis, de ramasser des cintres pendouillant, les haricots verts, ça tremblote aussi. Enfin vous l’avez compris, mon grenier serait écolo, et chacun y trouverait de quoi faire une bonne soupe, sa bonne soupe.