Inspiration libre chez Lilou-Fredotte pour ce défi 92, à partir du tableau de Chagall : La cuillerée de lait. Avec pour consigne de placer les mots : binocle, bonzaï, bénévole, bistrot, barrir, dans le texte.
Je m’étais arrêtée devant, car ce n’était pas un tableau que j’avais sous les yeux mais mon existence tout entière. Une vie passée à le servir, à tendre la cuillère sans gémir, jamais. Jouer les BENEVOLE, gentille femme dévouée, n’attendant rien en retour, pas même un peu de tendresse. L’écouter BARRIR à longueur de journée, me critiquer, m’avilir et supporter ses écarts de langage. Je ne voulais pas m’avouer que l’amour n’était pas là. De sa part je savais, ce n’était pas ça aimer. Mais moi, j’éprouvais-je en réalité ? J’étais comme effacée, dissoute, je n’existais pas. Je n’étais qu’une annexe, la part d’ombre sur laquelle il déchargeait tout ce qui lui déplaisait en lui. J’étais cette paysanne en fichu, laide et vieille. Il ne me manquait plus qu’un BINOCLE pour parfaire le portrait. Quoique, cela peut sembler étrange, mais ce tableau m'avait fait recouvrer la vue. Car lui, ce personnage aux yeux baissés pour ne pas rencontrer mon regard, faussement absorbé par sa lecture, qu’attendait-il en réalité ? Que je sombre et tente de me suicider ? J’aurai pu être un BONZAI, aux branches finement travaillées, posé sur son bureau. Une jolie plante dont il aurait massacré les feuilles avec plaisir. Avant de quitter l’appartement, pour prendre l’air. Il aimait ce mot, prendre l’air, comme si s’enivrer au BISTROT du coin, signifiait oxygéner ses poumons.
Ce tableau était une sorte de déclic, un signal. Comme des crampons que l’on chausse avant de les bloquer dans des starting blocks. J’avais tout l’avenir à parcourir, le monde à découvrir. Je fis mes valises le soir-même.