La première fois que je l’avais rencontré il m’était apparu comme un grand chef de tribu vêtu à l’européenne. Des tamtams résonnaient dans ma tête et des chants guerriers, un panache de fumée m’embrumait l’esprit. Il était debout devant le fauteuil directorial comme devant un trône, face à la foule. Je me représentais son couvre chef, un képi imposant, et des galons dorés à sa veste rouge. Il ne manquait que la haie des gardes, l’alignement des sagaies, le sol rouge et poussiéreux. En guise de porte étendards, les délégués du personnel, à l’étroit dans leurs costumes, se tenaient face à direction. Ils remerciaient le patron venu fêter le nouvel an avec eux : « Monsieur le directeur, c’est un plaisir de vous avoir parmi nous.
- Mon épouse me demande tout le temps de vos nouvelles…
- Vous voyez, je me sens si bien dans l’entreprise que j’y ai fait rentrer mon fils… »
Il regardait devant lui, fixant la porte de la salle de réunion sans ciller. Il toisait chaque arrivant, risquait un sourire, un regard oblique ou admirait le plafond.
A sa gauche, se tenait le conseil des sages, les ingénieurs, juristes, commerciaux. Et peut-être des mages aux paroles sibyllines, des astrologues et leurs prophéties inquiétantes, je ne connaissais pas encore tout le personnel.
Je me trouvais au milieu des sages, et je sentais le regard du chef posé sur moi, curieusement glacial et complice. Il avait refusé de répondre à mon salut à l’entrée. Nous n’avions pas échangé de poignée de main. Il me pistait à la manière d’un tigre gonflant le poil, sortant ses griffes et dressant l’oreille pour effrayer un jeune mâle fougueux. La salle était surchauffée, j’avais les mains moites et mon col de chemise me démangeait. Je me sentais malade tel un occidental au milieu des peuplades indigènes, incommodé par le climat, atteint de paludisme ou ayant abusé du vin de palme.
La popularité du chef était immense, intacte.
Il avait une cinquantaine d’années, un visage fin, encore ferme, des lèvres petites mais pleines. Son nez était légèrement retroussé, piqué de taches de rousseur. Ses yeux verts, très rapprochés, avaient la transparence de la gelée. Lorsqu’il braquait sur vous ses longs cils et fronçait ses sourcils broussailleux, il vous crucifiait sur place. Il était grand, mince, d’allure sportive, large d’épaule, parlait peu et ne se déplaçait pas. Nous devions venir à lui comme des enfants auxquels il tapotait la tête avec indulgence. Son regard mobile, expressif, perforant, fouillait nos cerveaux comme pour dire : QUI M’AIME ME SUIVE ! J’avais le sentiment d’être un singe vivant, décalotté, à qui l’on mangeait l’intelligence à même le crâne, comme cela se pratique dans certains pays, paraît-il.
Ceci répondait aux consignes de LENAIG:
A partir du mot "couvre-chef," écrire ce que l'on veut. Une seule condition inclure: QUI M'AIME ME SUIVE! dans le texte.