Je m’approprie les œuvres célèbres depuis toujours. A partir de mots lus sur internet, de livres ayant l’artiste ou ses proches pour sujets, de documents filmés, je tricote. Je construis, les mots s’enchevêtrent, à l’endroit, à l’envers. Guernica ne fait pas exception à la règle. Picasso 1937, bombardements, Espagne, camaïeu de gris, noir, blanc, jument violée, minotaure cruel, femme en deuil, enfant mort, tête d’homme, bras coupé, géométrie, cubisme, flammes, clichés photographiques de Dora Maar. Les informations glanées ici et là, construisent mon tableau. A l'idée que j'en ai.
Devant Guernica, le vrai, 349 x 776 centimètres, au musée de la Reine Sophie à Madrid, je me suis sentie dépossédée. J’ai posé mon trophée à terre, minuscule, insignifiant. Comme intimidée par les dimensions de l’œuvre réelle et par ces grandes bouches ouvertes sur la souffrance. Désorientée par tout le reste, aussi. Un rail placé à la verticale sur le côté, relié à un ordinateur, analyse l’usure de la toile. Et crée, même s’il ne fonctionne que la nuit, une ambiance scientifique de laboratoire, plombant l’émotion. Au plafond, un autre rail de spots à l’horizontale, éclaire la vedette. Deux gardes sur des chaises hautes, de part et d’autre du tableau, contiennent les spectateurs éblouis. Et la foule dense, immuable, forme une barrière indépassable. Que j’ai franchi, à petits pas imaginaires, pour me placer au bas de la toile et au plus près.
J’ai rendu mon tableau à Pablo et à l’Espagne. Puis je l'ai saisi de nouveau, posé sur la toile comme une peau de chagrin. Qui a fondu, s’est plaquée tout contre la trame. Est devenu Guernica, le seul, celui d’un Picasso génial. Devant lequel les visiteurs s’amassent.