Elle m’a dit ce matin : « tu es bien belle aujourd’hui, tu as pris un amant ou une maîtresse ? » Elle m’a dit cela pour rire évidemment, avec sa gouaille et son franc parler. Elle a ajouté : remarque, j’te drague pas, à soixante balais, j’ai passé l’âge. Elle, c’est une de mes clientes à l’allure de baba cool, jupe de gitane, boucles d’oreilles surdimensionnées et bagues assorties. Elle incarne l’est parisien et la banlieue à folklore. Ma banlieue. Elle jette ses mots comme des pièces sur le comptoir, ils cognent et se puis se posent. Il n’y a qu’à les ramasser et les entasser dans les compartiments de la caisse enregistreuse. Elle lance des « ma belle, tu me connais, j’vais pas t’embêter ». Elle précise : « Prépare mon ordonnance, j’viendrai la chercher après la messe ». Elle me vante son site de brocante sur internet, me raconte sa passion pour les boutons anciens. Sait qu’elle accapare l’attention, les clients piaffent derrière elle. Alors elle se déplace, jette un œil sur les rayons, ou feuillette une revue mise à la disposition de la clientèle. Puis quand la pharmacie se vide, elle revient, l’œil pétille et la langue se déroule : « Alors dis-moi, tu sais bien que je n’aime pas vouvoyer les gens, qu’est-ce que tu caches ? Depuis le temps que t’es mariée, t’as besoin d’un petit extra ? ». Son rire est franc, tonitruant, malicieux. Lorsqu’elle s’en va, on a l’impression qu’un petit diablotin tout rouge la suit, portant une fourche avec des caoutchoucs sur les dents, pour ne blesser personne.
Comment dire ? Elle a égayé ma journée et celle de mes collaboratrices qui vont me mettre en boite, a apporté sa fraîcheur, son aisance, sa bonne humeur. La prochaine fois elle me racontera ses filles, étudiantes brillantes, parlera de son compagnon musulman, et me taquinera de nouveau. Elle est un exemple de partage, de tolérance, d’intelligence. Est-ce si difficile ?