En janvier, il y avait une exposition Boris Vian à la BNF. Je ne sais pas pourquoi j’en parle seulement aujourd’hui. Ou plutôt si : Vian est de la génération de mes parents et me plonger dans sa jeunesse, les années 45 à 59, c’est un peu marcher à côté d’eux. Comme si le temps, les heures, avaient fondu. C’est cette histoire de pendule qui me perturbe. En fermant les yeux, j’ai le sentiment d’entendre la voix douce et grave de Juliette Gréco ou le rire franc, explosif d’Henri Salvador, me racontant leur ami.
Je n’aime pas raconter les expositions mais l’effet qu’elles produisent sur moi. Eh bien, je suis tombée amoureuse. Complètement sous le charme d’un homme dont j’ai admiré l’élégance, le charme, la fragilité obligée d’un corps qui se refuse. Un homme grand, beau, à œil visionnaire et inquisiteur, au nez long, fin. Un banlieusard de Ville d'Avray portant costume et imperméable. Un parisien des beaux quartiers, qui ne connut pas la guerre. Il fréquentait les boites de jazz, et célébrait la vie qui s’écoule, insaisissable. Les photos, les films le montrent évoluant au milieu d’une jeunesse dorée, dans une bulle. Pourtant qui mieux que lui, dont les jours étaient comptés, savait ce que le temps, les heures, les mots confiés au papier, pour la dernière fois peut-être, voulaient dire.
Il était joueur de jazz mais n’avait pas assez de coffre, écrivain mais n’était pas assez conventionnel, il avait à vivre vite, tout essayer, tout explorer : le théâtre, la chanson, la traduction de polars américains. Et le parcours tracé tout au long de l’exposition était un long tourbillon au rythme de ses idées, de son bouillonnement, de ses conquêtes aussi. Il avait le sens de la formule ; « Un homme digne ce nom ne fuit pas, la fuite c’est pour les robinets » « Le travail de construction du désert commence par une destruction ».
A la sortie, un vieux monsieur m’ a abordé, disert, ému. A salué les compagnons de route de Vian, Serge Gainsbourg, Gérard Philippe qu’il avait vu sur scène au théâtre, m’a parlé de Mouloudji, du groupe Octobre qu’il accompagnait. S’en est allé, m'a souhaité une bonne journée. Puis est revenu sur ses pas, a glissé une anecdote sur Vadim qu’il n’appréciait pas particulièrement, sur Jeanne Moreau qui échange quelques répliques avec Vian dans les" liaisons dangereuses", et sur les grenouilles du fils Rostand, ami d’enfance de l’auteur.
Imperméable, écharpe, il promenait ses années cinquante avec lui. Et l’ombre de Boris. Et l’ombre de mon père qui était fou de jazz.