L’exposition « L’impressionnisme et la mode » ferme ses portes au musée d’Orsay, aujourd’hui à Paris. Et j’ai attendu les derniers jours pour m’y rendre, un après-midi en semaine. Je m’étais dit, évitons la foule des débuts d’expo, l’attente aux caisses, les queues à méandres multiples, la chaleur des salles, les bousculades devant les vitrines, les remarques parfois incongrues des visiteurs, les « please where are the toilets ?», les « no flash, pas de photo ! » des gardiens débordés. Eh bien je n’ai absolument pas échappé à tout ça. Mais l’exposition est une réussite qui par magie, une fois le cordon de sécurité franchi, m’a fait bondir dans le temps. Elle laisse venir à soi cette seconde moitié du dix-neuvième siècle comme une ronde, une fête, un bal permanent.
Tout d’abord parce qu’il s’agit d’une immersion dans le beau monde, celui des titrés et des artistes. Un monde où l’on porte des robes de lever, de matinée, d’après-midi et de soirée. Où l’on froisse la mousseline et le taffetas, où l’on porte la soie et les cotons légers, où l’on exhibe polonaises (jupons à trois volants) et nœuds plats. Un monde où l’on se rend chez la modiste gantée de blanc, où l’on dévoile une cheville sagement troussée dans une chaussure à talons courts. Un monde où tout dandy qui se respecte affecte une pose distanciée et dédaigneuse, vêtu d’un habit sobre de pingouin.
Henri Fantin Latour par Edouard Manet
On découvre les grands magasins, les journaux de mode, les maisons de couture. On dessine et l’on peint la parisienne. Elle prend la pose, pas toujours de face, on doit remarquer la tournure de sa robe et son maintien, son allure, son élégance. Elle montre ses enfants dans leurs habits de fête, elle affiche déjà cette tenue de soirée qui deviendra notre « petite robe noire ».
La parisienne par Edouard Manet
Elle offre ses bras ronds et dodus, et son décolleté audacieux aux regards éperdus de ces messieurs, dans sa loge au théâtre. Elle se promène oisive, à la campagne, en relevant ses jupons par un système de tirette. Elle se dénude savamment, on aperçoit corsage, jupe, lacets et bas, abandonnés au sol.
Rolla par Henri Gervex
Elle rejette le corset, choisit les nœuds, les plis à l’arrière, tout est codifié, manchon, voilette, ombrelle, hauteur des talons. Elle se laisse photographier par Disdéry, les photos s’échangent. La femme est un tout, sa grâce, son sourire, la finesse de ses attaches sont sublimées par le costume, par la lumière.
Bord de mer par James Tissot
L’homme parfois arbore des tenues claires, ou décontractée sportives, mais c’est pour mieux asseoir son originalité, son rang, son appartenance.
La mode selon Baudelaire permet d’accéder à la morale et à l’esthétique du temps. Selon Manet, la dernière mode, pour une peinture, c’est tout à fait nécessaire, c’est le principal. Pour Degas, le chatoiement du taffetas, la matité du velours, la légèreté des fleurs en soie ou des plumes, priment. Mais pour tous les impressionnistes, les femmes sont des silhouettes qui ont acquis leur indépendance. Cette exposition était grisante comme une valse dansée au bras d’un excellent danseur, je suis ressortie un peu groggy.
Une soirée par Jean Béraud
Et je laisserai le mot de la fin à une dame tout de près moi qui s’adressait à une amie en disant : « je pense qu’il faut rendre hommage à toutes les repasseuses qui défroissaient ces robes, je n’aurais pas aimé être à leur place ! »
Femmes au jardin, par Claude Monet