Helen Churchill Candee était un écrivain américain de cinquante trois ans. Elle était à bord du Titanic lorsqu’il a fait naufrage. Son carnet de trente-six pages manuscrites est aujourd’hui exposé au Musée des Lettres et manuscrits de Paris. Il a servi de support au film de James Cameron. Elle y parle des journées, des soirées à bord, de ses voisins, de l’équipage, du commandant et de la terrible nuit. C’est un carnet au papier jauni. L’écriture est large, légère et s’envole un peu sur les lignes. Cela s’accorde bien à l’allégresse qui régnait à bord au départ d’une traversée annoncée sans orage. Une sorte de griserie, l’appel du large et le progrès en marche pour un paquebot dit insubmersible. Le ton semble badin au départ, je ne déchiffre que quelques mots, Helen Churchill Candee se fait narratrice pour l’écho des gazettes. Elle parle d'un jeune homme, de moustaches, de présentations. De l’effervescence qui règne à l’approche des soirées. Et dans ma tête des images, le film bien sûr, et d’autres encore. Je vois de grands chapeaux, de belles manières, des livrées, un commandant en tenue, des révérences. Et je me dis que c’est un peu cela que l’on recherche encore aujourd’hui quand on s’exclame : je pars en croisière.
Je pars en croisière signifie je voyage dans le temps. Montaigne disait : je sais ce que je fuis quand je voyage, je ne sais pas ce que je cherche. Pourtant en croisière on recrée forcément Titanic dans sa tête. Le grandiose, le faste, l’aventure, et le dîner de gala. Même si les boutiques, la piscine, les salles sport, le cinéma…. Même si le monde moderne s’invite à la table du commandant, je me vois en costume marin courant à perdre haleine dans les coursives. Et les mouettes rient, accompagnant mes hoquets. Une goulée d’air iodée, une bruine d’eau salée et la réverbération du soleil sur les vagues. Des clapotis contre la coque, je me penche un peu, il y a des pirates qui attaquent. Une main en visière, je guette la chute du gros ballon rouge au loin, dans la grande violette. De l’autre main, je colle mon béret à pompon contre mon crâne. Je suis fière du pompon. J’ai cinq ans, je ne pense à rien, penser c’est pour les grands.
Car c’est aussi un retour dans le passé les croisières. Dans mon passé c’est Martine en bateau, La croisière s’amuse, Deux ans de vacances, Le loup des mers. C’est Michel Le Royer. Et les romans de flibuste qu'on lit moelleusement lové dans sa couchette. C’est Pirate des caraïbes aussi. C’est tout ça mélangé.
Mais... Me voilà de nouveau devant la vitrine au musée. Je distingue les couleurs délavées, l’encre devenue verte, les lettres qui bavent. Helen Churchill Dundee a découvert la souffrance, le courage, l'héroïsme à bord du Titanic. La lâcheté aussi. L’humanité toute nue et glacée dans l’océan. Ce n'était certainement pas ce qu'elle cherchait. Elle allait rejoindre son fils aux Etats-unis. Son manuscrit s’achève ainsi : "Bouillonnant au-dessus de la surface de l'eau, j'aperçois la divinité de l'homme et le triomphe de l'esprit. Je me réveille sur le Carpathia alors qu'une main pleine de bonté verse un verre de whisky dans ma gorge". Elle a découvert que dans certaines ciconstances l'homme peut approcher Dieu.