Selon un challenge proposé par Lénaïg durant l’été, je me prête au jeu de la proposition B : Commencer par :
"Il ne se passa rien, ou à peu près l'équivalent de rien, pendant plusieurs semaines ; et puis, un matin" ...
et finir par :
"Mais j'ai toujours fait mes choix à l'intuition, uniquement".
Photo prise sur le net
Il ne se passa rien, ou à peu près l’équivalent de rien, pendant plusieurs semaines ; et puis un matin, ce fut la délivrance. Son visage me hantait, me torturait depuis que j’avais eu son image, dans l’objectif par erreur. Ce fut lors un goûter d’anniversaire au cours duquel j’étais gardien des souvenirs. Emprisonnais des robes à fleurs, des culottes courtes et des nattes, pour la postérité. Par mégarde, j’avais attrapé une grande sœur, postée au second plan. Attrapée, afin que je lui courre après. Elle ôtait de l’éclat à ces visages ronds aux yeux brillants car son sourire dévorait le monde. A commencer par eux, ces enfants, princes d’un jour. Un halo, une blondeur phosphorescente l’enveloppait jusqu’aux épaules. Ses cheveux fonçaient dans l’épaisseur, lui donnaient de la consistance, de la profondeur.
J’avais tiré un exemplaire de la photo sur papier que je gardais dans ma poche. Et mon ordinateur s’était accoutumé au curieux fond d’écran que je lui avais infligé. Il grésillait bien un peu au démarrage, signifiait son agacement. Il me jugeait superficiel, entiché d'une Marylin,d'une coquille vide. Mais j’avais saisi quelque chose, j’avais besoin d’autres clichés. Comme lorsque les mots ne suffisent pas à exprimer des sentiments, ou qu’ils ne s’inscrivent pas spontanément sous la plume. J’avais livré ma commande, ça ne me regardait plus. Les jours passaient, amputés de leur folie, de leur légèreté. Enflaient, gorgés d’espoir, de désespoir, de quoi au juste... Cette perruque blonde passait devant mes yeux, des fils épais, de la soie douce, aérée. Je n’étais pas amoureux, les autres s'inventaient que je l’étais. Cela devenait une obsession, de celles qui poussent à téléphoner sans laisser de message, à n’importe quelle heure du jour, de la nuit. Lorsque la voix espérée au bout du fil apaise, ressource, abreuve. Je ne connaissais pas sa voix, je n’avais pas son numéro de téléphone. Je n’étais pas amoureux. J’étais malheureux, incompris.
Mon calvaire cessa brusquement au réveil, le lendemain de cette soirée, fameuse. Je l’avais revue par hasard, lors d’une exposition. Elle ne m’avait pas reconnu, m’avait-elle remarqué simplement, la première fois ? Elle regardait une photo au mur, un verre de champagne à la main. Semblait figée dans une robe noire cintrée à la taille. Son visage était pâle comme son sourire. Et pincé le sourire, ainsi que les narines. Elle se détaillait, détaillait son portrait. Par quelqu’un d’autre que moi exposé. Le chef-d'oeuvre par un autre réalisé. Toutes les subtilités, les contrastes, la fragilité, la force qui émanaient du modèle avaient été évalués et restitués. Je m’étais incliné, je ne prouverais rien avec elle. De sa beauté, de mon talent. Elle s’était tournée vers moi, avait chuchoté dans un raclement de gorge :
- Ne trouvez-vous pas que je suis affreuse là-dessus?
Avant que je réponde, surpris, l'artiste s’était approché, l’avait effleurée à l’épaule, puis avait déclaré, s'adressant à moi :
- Elle est splendide n’est-ce pas ? J’ai eu un peu de mal à sélectionner des modèles. Mais j’ai toujours fait mes choix à l’intuition, uniquement.