Le casse -tête cette semaine chez Sherry est : papier.
Cette fois ça y est, je vais les ranger. On dit ça comme on boucle ses valises. Comme si on partait à l’aventure, avec le Routard dans une main et les plans, les cartes dans l’autre. Trier ses papiers, c’est partir à l’étranger. Ouvrir des placards, c’est prendre l’avion, vous savez, quand on a l’estomac dans les boyaux au décollage. Tous les cartons, les valises, les caisses en plastiques débordent. On en a pour des heures, on sera perdu au milieu du salon, du dressing ou de la chambre. Comme un passager entre terre et mer, au milieu de nulle part. A la merci de turbulences ou de défaillances de la carlingue.
Car dans les caisses se trouvent des pochettes pourvues d’élastiques, des enveloppes, des classeurs. Et à l’intérieur, des papiers. Des documents administratifs importants, des quittances, gaz, électricité, règlement de la cantine des enfants. Des trésors, lettres d’amour de notre homme à l’époque où l’on s’écrivait des Pouchou, Chouchou, Minou… quand internet et les SMS ne falsifiaient pas le langage. Des « maman, je t’aime » à la calligraphie improbable, des « fais ch…t’as qu’à faire tes courses toi-même », la calligraphie et le vocabulaire ayant pris quelques années. Les notifications des impôts, des certificats de décès, de divorce, des actes notariés, des bulletins scolaires. Tout ce qui permet de griffer les années, comme l’avion griffe le ciel, constitue nos papiers. En général dans l’avion, au bout d’un certain temps et malgré soi, on pique un peu du nez. Sans vraiment dormir. On dort mal dans les avions. Eh bien les papiers, c’est soporifique. Il faut du courage et ouvrir l’œil, savoir quoi et où ranger, quoi jeter.
Dans les papiers, parfois, on trouve des photos, Loulou à la maternelle, le mariage de Titi, les vacances à Papeete. C’est la pause : oh je me souviens, c’était chouette. Cela correspond au moment où on l’on regarde à travers le hublot, que l’avion redescend et qu’on voit tout en miniature, en bas. On est dans le décor, dans la photo. Et plus tout à fait là. Si j’osais, je dirais qu’on est sur un petit nuage.
Puis les roues sortent, la piste se profile, on attache les ceintures. Les dossiers s’empilent, d’un côté ceux qu’on garde, de l’autre ceux qu’on…On verra. Car classer ses papiers, c’est subir le jet lag de plein fouet. Après toutes ces heures de tri, de vol, on ne pense qu’à se coucher. Cela provoque un vrai décalage, autant parier que le lendemain on ne saura plus où on a rangé … sa paperasse.