L'évasion de Rochefort (1880)
Casse-tête cette semaine chez Sherry: En transparence.
Si j’essayais de me mettre à sa place, si moi, la béotienne, je prétendais deviner comment Manet a plaqué la transparence des flots sur sa toile. Une toile vierge, une esquisse au départ, le choix minutieux de l’emplacement de la barque. L’œil doit être attiré par les personnages, leur petitesse dans l’océan immense. L’œil doit être hypnotisé par les vaguelettes claires, laiteuses, par leur clapotis, jusqu’au vertige, jusqu’au mal de mer.
Ensuite une couche de peinture bleue pour le fond, très fine, on doit deviner le dessin au travers. Puis j’insisterais sur les zones sombres, la ligne d’horizon à l’arrière-plan, le triangle de touches bleues foncées à l’avant de la barque. J’appliquerais du blanc avec un tout petit pinceau, sur ce grand vide au premier plan, de la lumière, de l’éclat. Puis toutes les nuances de couleur, bleu cobalt, verts clairs et sombres pour le mouvement. Un peu de brun, d’ocre ou de rouge délayé tout là-haut, tout au fond. Des gris, des noirs pour accentuer la brillance. Devrais-je tapoter la toile avec un gros pinceau derrière la barque et devant elle, pour simuler les embruns ? Clair, foncé ? J’augmenterais les contrastes, créerais des silhouettes comme le bateau dans le fond, pour la symétrie, pour l’infini, la solitude.
Donner de la profondeur, du réalisme par le souci du détail, des vagues ourlées, tournoyantes. Je zoomerais sur un personnage dans la barque. Je rendrais compte de sa fragilité, de sa peur. Car l’océan est clair en surface, avec ses reflets changeants, noir en profondeur, abyssal.
Pour achever de happer les regards, qu’ils se noient dans la transparence, et pour entretenir l’illusion, le trouble, je vérifierais l’harmonie des couleurs, les ombres, les lumières, les brillances, la texture fluide, impalpable, de l’eau. Et j’apposerais la touche finale, ma signature.