Quand je la regarde, je me dis qu’elle n’existe pas. On l’a fabriquée avec un modèle, et des découpes en papier. A l’aide de ciseaux on a ajusté le patron. Puis on a épinglé de la peau dessus. Colorée la peau, chatoyante comme le tissu. Tendue là où il faut, cintrée, pas un pli. Monochrome, uniforme, qualité couture. Légère, soyeuse, infroissable. Jeune.
Quand je la regarde, je me dis que ça fait quatre heures qu’elle joue « potiche ». Son bras tire à l’arrière, son cou hissé jusqu’au dédain, est douloureux. Demain c’est torticolis garanti. Ses cheveux enduits de gel pour l’effet mouillé, pendent comme une masse pâteuse dans son dos. Elle transpire. Elle a horriblement chaud sous la lampe. Quoi, vous y avez cru ? L’eau turquoise et transparente qui lèche les doigts, les cuisses, la magie des tropiques, c’est Photoshop ! On lui tourne autour, on peinturlure son visage. On tamponne, on essuie. Le photographe la houspille. Là, tu es belle, encore, penche toi, plus sensuelle, c’est ça. Il promène son appareil sur ce corps exhibé, comme une abeille frottant des étamines de ses trois paires de pattes. Elle a conscience d’être une fleur, épanouie, périssable. Et puis, c’est un détail, elle déteste la couleur du maillot. Elle a faim. Elle a soif. Et sommeil. Plus je l’observe, plus je me dis que c’est pas truqué, c’est quelqu’un cette fille, en vrai.
Quand je la regarde, je me dis qu’elle étouffe et qu’elle a froid dedans. Les yeux se ferment, le sourire, imperceptible, est glacé comme les photos de son book. Ce n’est pas une pose, mais juste une pause. Elle se préserve. Pour ne pas craquer le vernis qui recouvre la couche picturale du tableau. Ce teint radieux s’obtient par superposition des glacis. Cela nécessite de la maîtrise, c’est de l’art, du Vinci. Elle dissimule, elle triche. Elle relègue ses imperfections dans son dos comme un tas de poussière. Car au fond derrière l’illusion, quand je la regarde, je perçois nos angoisses de femmes.