Ses yeux racontaient une histoire mais je ne savais pas lire. Avant de raconter « La petite fille aux allumettes » d’Andersen, aux enfants, je ne savais pas. Avant de m’apercevoir que dans leurs yeux à eux, des étincelles clignotaient en même temps que la flamme de l’allumette dans le conte. Que ça s’en allait quand le feu s’éteignait et que la fillette se mettait à grelotter.
Alors j’ai compris le regard doux, penché, et les grands lacs mangeurs de visage. La lumière jaillissait de lui, quand il était heureux. Elle s’étalait brusquement depuis le front jusque sous le menton. Sa voix était fluette, une voix malmenée par une chimiothérapie dans l’enfance. Le cancer avait été un incident de parcours. Ce n’était pas le souvenir de cette période qui obscurcissait ses traits et ses yeux régulièrement. Dans ces moments, c’était plutôt comme si la lune s’interposait entre la terre et le soleil. On avait très froid d’un coup. On apercevait l’extrémité calcinée d’une allumette dans sa pupille.
Il aimait nos réunions, nos dîners, et s’asseyait sans un mot dans un fauteuil dès son arrivée quand nous l’invitions. Il ne participait pas aux conversations, n’aidait pas au service. Il restait posé là, paisible, engourdi dans nos vies. En réalité il prenait des forces, se nourrissait de nous, de nos liens intimes. Il se créait une famille. Il partait quand il avait fait le plein. Il irradiait.
J’ai su un jour qu’il avait eu un frère. Qu’un fermier l’avait trouvé dans son champ, sous la roue du tracteur. Un suicide apparemment. J’ai su que nous étions sa famille.