Nous les avons rencontrés dans un restau-pub à Dublin. Musique celtique, Guiness à flot et spectacle de danse folklorique pour l’ambiance. Applaudissements, verres entrechoqués, envoûtement. Les chants de la lande, les rires, une lumière rasante sur des visages subjugués. Par les cordes des guitares, les voix au registre impressionnant, les jambes tricotant l’air.
Ils se sont installés à nos côtés, éméchés d’ailleurs, et résolus à poursuivre, titubants, hilares. Ils étaient quatre et arboraient une soixantaine chauve et bedonnante. Ils avaient l’air de petits garçons. Parce qu’il ne suffit pas d’avoir dix ans et une play, pour être un petit garçon. C’est dans les gestes, le regard, la malice. C’est dans l’envie de s’amuser, un soir avec les copains, de fêter un anniversaire vaguement, comme si ce n’est pas la véritable raison. Apercevant nos gueules d’étrangers qui s’encanaillent, ils nous ont demandé :
- Where do you come from?
- From France, I said.
- ……..........
- Je ne comprends pas, j’ai dit
- Oh excuse me for my accent, répondit l’un d’eux. I’ll try to speak slowly, we’re from Scotland. Et il ajouta dans un français bon enfant, suivi d’un baise main:
- Enchanté de vous connaître, oh, oh, oh, oh, oh…. That’s all I can say in french. Do you enjoy the show, you don’t have this in France!
J’ai évoque le French cancan et il a ri aux éclats. Nous avions remarqué que tous les quatre avaient la Guiness confortable. Sitôt qu’une chope s’élevait dans leurs mains, quatre autres apparaissaient sur le comptoir. Et leur entrain, leur tangage, leurs baise main évoluaient à mesure. Nous nous demandions comment nous dépêtrer de ce gentil piège. Ils se sont mis à chanter et l’un d’eux me renseigna dans son anglais « exprès pour moi »:
- Nous venons tous les ans ici, la dernière semaine de février depuis dix ans.
Pour boire. To get drank.
Et moi grosse bête, j’ai tenté :
- Why ?
Il m’a regardée surpris, décontenancé d’abord puis amusé :
- Why not ?
Eh bien oui, pas besoin de justifier qu’on apprécie la vie. De temps en temps on décompresse, on s’offre une petite folie. On ne fait de mal à personne. On s’oublie un peu. Enfin dans leur cas, il y a quand même la notion d’habitude, on ne tient pas l’alcool comme ça. Mais je ne creuserai pas davantage. J’aime le principe, sortir des rails pour mieux s’arrimer ensuite et supporter le quotidien, banal, et parfois stressant, angoissant. Afin de gérer les surprises, les problèmes et les baisses de moral.
Nos quatre amis se sont inquiétés plusieurs fois, do you enjoy ?, nous ont poussé à danser, et devant notre refus timide, nous ont souhaité bonne continuation. Ils avaient été enchantés de nous connaître. Really.