Elle est dans la cabine téléphonique au bas de l’immeuble, sur la place. Ce lundi de Pâques est un jour particulier. Finis la fête, la chasse aux œufs, les réunions de famille, les repas trop arrosés, les promenades en forêt. La ville est assoupie, elle fait la grasse matinée comme un poupon repu. Au dehors chacun marche dans de petits chaussons. Les gestes sont lents, malhabiles, hésitants.
Mais cette femme dans la cabine, qui se penche à droite, à gauche, et dont la queue de cheval balaie la nuque comme un pinceau, me dérange. Qui téléphone encore d’une cabine aujourd’hui ? C’est la première question qui me vient à l’esprit, basique, primaire. A l’heure du smartphone je ne comprends pas ce recours à la cabine. C'est idiot car à bien réfléchir, cela peut arriver. Oubli ou vol du portable, perte, panne de batterie, refus de l’engin, difficultés financières concernant l'abonnement, des raisons il y en a.
C’est la jeune femme elle-même qui m’intrigue. Elle ne téléphone pas encore. Elle porte son sac à l’épaule, se tient bien au milieu comme si elle ne voulait pas frôler les vitres. Toute raide et les yeux fixes elle entrouvre le sac, en retire une paire de gants et des lingettes antiseptiques, soulève et essuie le combiné. Se courbe vers le cadran qu’elle frotte énergiquement, puis le boitier lui-même, dessus, dessous, de chaque côté. La tablette enfin, à l’horizontale, à la verticale. Elle se rend compte que je l’observe et me tourne le dos. Fourre ses lingettes dans un sac Monoprix. Compose son numéro ; d’où je suis je remarque que sa main volète sur le cadran. Approche le combiné de sa bouche mais pas trop, susurre un allo peu sûr de soi. Je le devine ; ses lèvres tremblent, cela me paraît évident. Elle se recroqueville en elle-même, enfouit son visage dans ses mains. Puis se tourne vers moi contre toute attente, agacée par mon regard fusillant ses épaules. Enhardie, elle ouvre grand la porte de la cabine. Ce faisant elle s’étrangle avec son écharpe coincée dans la poignée. Elle la tire avec hargne. Et me lance : vous n’avez pas d'autre occupation ?
Eh bien autant l’avouer, je n’avais rien d’autre à faire ce jour-là que d’observer mon prochain, et de lui trouver un petit air curieux. Mais j’ai tout de même détalé comme un chat pris le nez dans le jambon posé sur la table.