Je rencontre Malika à la piscine. Elle m’arrête dans le couloir alors que je reviens des douches. J’ai froid, mes cheveux dégoulinent. Elle entreprend ce qu’elle fait chaque fois qu’elle m’aperçoit, elle évoque sa vie, sa sœur, le théâtre et la poésie. Elle s’excuse, elle m’effleure le bras, légèrement. Elle ouvre la bouche et ses mots chahutent, ils s’écorchent. On ne suit pas totalement le fil des paroles, il y a des à-coups, des silences. Des larmes se perdent dans la peau granuleuse de ses cernes. D’habitude ses cheveux gris tressés au-dessus de la tête lui donnent un air de petite fille triste. Car son regard fiévreux, ses paroles éloquentes et l’amour du théâtre lui garantissent une jeunesse éternelle. Cette fois, ses hublots de piscine sont dressés sur son crâne comme des radars. Ils semblent dire, je vois, j’entends, j’écoute. Ou encore, reste là, ne bouge pas, attend.
Malika évoque ses origines algériennes. Parle de sa sœur, de ses problèmes identitaires. Elle veut discourir davantage, elle cherche à me retenir, raconte ses misères, se demande si elle m’ennuie. Explique que déballer tout à trac comme ça, se confier, est un soulagement, c’est de l’oxygène pur. C’est euphorisant. Et le besoin de déclamer monte en elle. Elle a soudain des airs de tragédienne, de Grande Rachel, de Sarah Bernhard. Elle a beau être en maillot de bain dans les douches avec sa serviette à la main et moi, grelottant à la recherche de la mienne, il y a la scène et il y a un public. Elle et moi, l’une en face de l’autre, tandis que le personnel d’entretien essuie le carrelage autour de nous.
Malika a pitié, je me dirige vers mon casier. Je sais que des poèmes se bousculent dans sa bouche et encombrent sa tête. Je sais qu’un jour prochain, elle me les récitera.