Il ne s’expliquait pas pourquoi il avait pris le métro ce mardi. Non il savait, il était trop perturbé pour conduire. Et elle avait improvisé. Elle avait pensé qu’elle devait lui remonter le moral. Il s’était retrouvé sur un banc à côté d’elle, en attendant la rame, après le travail. Ils n’étaient pas dans leur cadre habituel dans l’entreprise, ne parvenaient pas à s’adresser la parole. Et se comportaient comme deux étrangers. Mais il avait reconnu les longs cheveux fins et blonds, la raie au milieu du crâne, les lunettes de myope qu’elle chaussait avant de quitter le bureau car les lentilles la faisaient souffrir. Une robe arc-en-ciel à franges dessinait ses seins et soulignait sa taille. Elle avait un pardessus de laine noire, une sacoche en cuir vert posée sur le banc à sa droite. A un moment, elle lui lança un regard bref. Il feuilletait un journal mais c’était comme si elle lui griffait le visage.
Elle se mit à fouiller sa sacoche, en extirpa un miroir de poche et un tube de rouge à lèvres. Posa les mains sur ses joues, écarta ses cheveux vers l’arrière, s’ébroua. Il rangea son journal, le remplaça par un livre de comptes et un stylo. Il lorgna dans sa direction, se détourna, crayonna sur le papier, l’épia de nouveau. Passa des pages. Lorsque le métro arriva, elle tira sur son manteau et se leva brusquement. Machinalement il la suivit. Ils évitaient de se regarder durant le trajet mais, profitant d’un coup de frein brutal, elle eut un élan de courage et sa main encercla le poignet de l’homme : « Je… Si vous voulez ce soir… »
C’était sa station. Il se dégagea si rapidement qu’elle sursauta. Il descendit sur le quai sans lui répondre. Il donnait l’image du type qui échappe à un traquenard. Et réalisa qu’il était ridicule en collègue effarouché. Demain, il s’excuserait.