Arsène m’a demandé de parler de lui. Il y a bien longtemps que tu n’as rien dit sur moi, m’a-t-il reproché. Dans ses yeux verts il y avait l’éclat de la séduction car Arsène est un séducteur, c’est inné, c’est en lui. Et son visage se plissait en une moue boudeuse, comme un enfant auquel on résiste. Arsène c’est un pseudo bien sûr mais ça lui va aussi bien que son véritable prénom. Ce côté gouailleur, un peu frimeur, un peu Bébel, un peu Zorro.
Arsène est notre livreur à la pharmacie. Il a ce rôle tout particulier qu’on aimerait voir jouer plus souvent dans le monde du travail, et pourquoi pas en politique. C’est un médiateur. Son métier c’est de livrer des médicaments, poser des boîtes à s’en démolir le dos, dire bonjour, ça va, se charger des cartons CYCLAMED, ces médicaments périmés qu’on envoie à la destruction.
Il est aussi à l’écoute. Il a des yeux et des oreilles et il s’en sert. Il nous dorlote. Pace qu’il nous arrive de râler : les téléphonistes ne nous rappellent pas, le commercial ne passe plus nous voir, les opératrices se trompent quand elles remplissent les caisses, sur les produits ou sur la quantité livrée. Ce sont de petites misères professionnelles et nous avons toujours quelque chose à redire. Nous menaçons parfois de changer de répartiteur mais ça reste des paroles en l’air. Alors Arsène fait remonter les informations. Il n’a pas que nous sur sa tournée. Partout il observe, il remarque, il note. Et il exprime les mécontentements. Il amorce le dialogue, facilite les contacts, crée le lien.
Si les choses se passaient un peu plus souvent comme cela, un peu partout, on éviterait bien des frictions. On peut me rétorquer que dans les entreprises il y a des syndicats, et dans les écoles des délégués des élèves pour ne citer que ces domaines. Mais j’aime l’idée d’un regard extérieur et non impliqué directement, une sorte de Zorro qui signe d’un Z de la pointe de son épée. Car les conflits, c’est bien connu, ne sont pleinement analysés que de l’extérieur.