Le XIXème siècle fut celui des romantiques Hugo, Nerval et tant d’autres, des parnassiens Coppée, Banville, des voyants tels que Rimbaud. Balzac en fit une peinture minutieuse, Sand et Maupassant eurent des visions bucoliques, Zola des considérations ouvrières. La France était un Royaume, connut les fastes de l’Empire et se rebella en une fière République dans ses trente dernières années. L’esclavage fut aboli et le savoir divulgué au moyen des journaux. Les idées circulèrent dans les salons, les théâtres, les cafés. Les français voyageaient, les plus fortunés, bien sûr, les grandes familles, artistes, peintres, photographes. Le monde s’ouvrait enfin. Pour le bonheur de tous ceux qui, avides ou curieux, souhaitaient s’entretenir de l’évolution culturelle, économique et sociale du pays.
Parmi ces nantis, ces chanceux, bien nés ou parvenus, il était un personnage méconnu et attachant. Victor Cochinat est né en 1823 en Martinique. Issu d’une famille de noirs affranchis, il fut avocat, puis journaliste au Figaro et au Petit Journal entre autres. C’était aussi un chroniqueur théâtral très connu et considéré.
Cochinat est un vrai noir et non un métis comme Dumas, dont il fut le secrétaire. Alors bien sûr, durant le second empire colonialiste, on raille sa toison épaisse et crépue et son nez épaté. Cela fait de lui un « vilain bonhomme » par le physique, on utilise sa propre expression lorsqu’il moque les parnassiens, ces vilains bonshommes. Eh oui, son esprit vif et son sens critique lui ont apporté la célébrité mais aussi de solides inimitiés. Il s’imposa par sa gaîté, son dévouement, et un don particulier pour la causerie et le conte. Victor Cochinat sut attraper les manières de son temps et les consigner sur le papier, les rendre vivantes, amusantes ou grinçantes. Sa fraîcheur, son pétillant ont charmé un siècle fourmillant d’idées nouvelles. Sa caricature par Gill fait la première page de l’Eclipse du 10 mai 1868. Elle est blessante, avilissante et ne passerait pas aujourd’hui. Mais elle est une preuve de sa popularité, de sa notoriété au même titre que son portrait par Le Gray, exposé dans un musée danois.
De nos jours on parlerait de mode, de tendance, de vagues. On ferait des rubriques au journal de vingt heures, ou un film sur sa vie. Nul doute que Cochinat tiendrait un blog à son nom !
Il apparaît dans les correspondances de Banville, Wagner, Paulus, Hugo ou Maupassant. Il a écrit un livre sur le célèbre brigand Lacenaire, un autre sur les vertus du tabac. Il a vécu l’abolition de l’esclavage et donné son avis sur l’indépendance d’Haïti au risque de déplaire. Ami de Victor Schoelcher, il devint, grâce à lui, conservateur de la bibliothèque de Fort de France sur la fin de sa vie.
Différent mais reconnu par ses pairs, côtoyant l’élite, moqué mais considéré, Victor Cochinat est l’un des témoins d’un siècle où foisonnaient les talents littéraires. Il meurt en 1886 en Martinique, soit un an après Hugo, cinq ans avant Rimbaud, sept ans avant Schoelcher. Peu avant que le siècle se termine et son faste avec lui.