Cela commence dès la sortie de l’aéroport, dès que la route s’ouvre devant le car. La méthode n’est peut-être pas bonne, se projeter à l’extérieur quand l’extérieur se cogne aux vitres d’un bus climatisé. Le dépaysement, la plongée dans ce monde, autre, survient comme un décor de Noël. Surprise et émerveillement. Images et clichés pour de vrai. Mitraillés comme les souvenirs bombardent la mémoire, en vrac. Et dans l’avion au retour, on trafiquera dans sa tête un discours, pour les amis. Les subtilités, les variantes, nord, centre, sud Vietnam, glisseront ensuite dans le récit. Comme pour Jason Bourne, la mémoire de la peau se livre par saccades. Comme pour Jack Kérouac, l’urgence, la hâte de tout retenir, exister ce n’est que ça, voir, obligent à cogner les mots comme des glaçons dans un verre.
Sur la route, rizières noyées ou chevelues, étendues vertes à perte de vue, buffles, zébus, chapeaux coniques trottinant au milieu, véritables banquiers des trésors du pays.
Ca et là, en plein champ, des tombes telles des pagodes miniatures, vous initient en douceur. Manger, vivre, mourir, c’est pareil. En ville dans la moiteur, lacs, pagodes et temples se racontent des légendes avec la grâce policée de l’Orient.
La pagode au pilier unique à Hanoï
Des scooters nombreux, anarchiques, quadrillent les rues comme des croisillons de pâte décorent une tarte.Visite des villes en cyclopousse, au plus près de l’effervescence, de la folie, au ras des camions. Plongée dans la marée toxique des gaz d’échappement. Des autochtones masqués, s’en prémunissent. Des filles se couvrent de la tête au pied, de peur que le soleil ne les noircisse. Ou bien, dignes et droites elles conduisent leurs scooters comme de fiers destriers. Tiens, ces lycéennes toutes de blanc vêtues, dans le costume traditionnel, sont des papillons de jour à l’allure troublante. On peut aussi charger des paniers, des colis, des gâteaux, édifices périlleux, sortes de tours aveuglantes, et vogue le scooter !
Sur les trottoirs on se restaure. Sièges en plastique, tables basses et soupe Pho, baguettes et vermicelles. On mange tout le temps, beaucoup de légumes et vite, on s’active. Ah la ligne svelte et légère des asiatiques ! La nourriture, nems, riz, poisson, poulet, porc, crêpes, liserons d’eau, champignons, soupe, noix de coco, fruit du dragon, jacquier, mangue…Tant de recettes, de raffinement, peu de graisses, exemplarité diététique.
Le colonialisme est prégnant, s’impose par ses bâtiments de couleur ocre, aux volets verts. Il ne lui reste que cette légitimité-là.
Les marchés font leur folklore au ras du sol. Denrées périssables, viande ou poisson, on chasse les mouches avec des sacs plastiques. Odeurs fortes parfois rances, couleurs, confinement, caractéristiques.
Ces curieux paniers à balancier, les marchandises tanguent en leur creux. Flottants, dans la lumière étonnante du matin, les marchés du Delta du Mékong, petites villes sur l’eau, charrient pastèques, bananes et patates douces.
La baie D’Ha Long. Paysage grandiose de monts fracassés par la queue d’un dragon irrité. Désordre paisible, colère placide. Mer verte, rochers couverts de végétation et chauves par endroits, bateaux, villages de pêcheurs, roches aux formes évocatrices, chien, poule, coq, chaussures.
La campagne. Cours d’eau émeraude, camaïeu d’une verdure luxuriante, fleurs de lotus, nénuphars, papillons noirs, œufs d’escargot, libellules, bourdonnement d’insectes, cris de singes, et au loin des chèvres perchées dans les montagnes, des orchidées pleurant sur leurs flancs.
C’est l’abord, ce qui reste en premier. Avant l’étude du Feng Shui, du culte de Boudha, des ancêtres Chams, du communisme D’Ho Chi Min, des guerres d’Indochine et du Vietnam, et du Sadec de Marguerite Duras. Avant d’évoquer Vietminhs et vietcongs. Mais je retiens surtout, une attitude, une coutume, un comportement ancestral, paysan, digne. Le vietnamien est un homme accroupi.
Ainsi il entretient ses rizières, vend ses légumes, mange la soupe, se poste le soir sur le seuil de sa maison étroite, prie son Dieu. Il est pauvre souvent, vit dans des cabanes en tôle parfois ; son humilité est sa grandeur. Au sol, à terre, sous un ciel souvent bas et gris, il allume un bâton d’encens dont la fumée lui permet de communiquer avec Lui, Tout Puissant, au firmament.