Pour apprécier cet éloge faut-il réellement connaître Saint John Perse, Paul Claudel ou Léopold Sedar Senghor ? Être féru de poésie hermétique, très littéraire, avoir lu Rimbaud, avoir des notions d’alexandrin, de rythme, se passionner pour un style laudateur ?
Pour en goûter la substantifique moelle, c’est possible. Pour se laisser bercer par les mots, les sons, la musique, les couleurs, pas besoin. Pour repérer les thèmes de la mer, l’amour, la création, l’enfance, le déracinement, le rôle du poète, inutile. Le talent de Daniel Berghezan réside dans l’expression de son admiration pour l’auteur d’ « Amers », par ses mots, son rythme, sa voix.
La voix, parce qu’une louange s’écoute plus qu’elle ne se lit. Dès le premier poème, on entend les mots et les chants de l’auteur qui accompagnent ceux du poète.
Le Prince (Saint John Perse) émerveille l’homme brut (l’auteur) et le réveille, le révèle à lui-même. L’homme au pouvoir de sorcier, le manipulateur de mots enseigne la rigueur, la vigueur, la flamme, la puissance d’un langage somptueux. L’apprentissage est prodige, vertige. Son objectif est d’atteindre à une plénitude existentielle. Dans une transe intellectuelle Daniel Berghezan s’imprègne de l’art du poète. Et la mer en sourdine bat la mesure, flux, reflux, les idées fusent par vagues : syllabes, césures, hémistiches, on oublie. On retient le procédé de va et vient, la cadence : des vers courts, très courts alternent avec d’autres, longs, très longs. La mer est présence, elle est mouvement permanent.
Cueillant les fruits de cette éducation, Daniel Berghezan en a rempli un plein panier. Il use de métaphores, de thèmes chers au poète, évoque les périodes de sa vie. La femme, la chair, le corps, le désir, tout se confond. L’homme se construit grâce au souffle du poète. La beauté de ses vers, l’émotion qui s’en dégage, permettent une sorte de communion sacrée. C’est cet élan vital qui porte Daniel Berghezan.
Les Antilles me sont chères. Les rappeler est douleur pour le poète né à Pointe-à-Pitre et qui refusa d’y retourner après son exil. Daniel Berghezan les a-t-il visitées un jour ? Son vocabulaire luxuriant et riche me trouble particulièrement. Est-ce que Saint John Perse s’est réellement emparé de lui qui donne à voir les couleurs des tropiques sans les nommer ? :
« Cette brise qui se lève magnifique et nue, à la rencontre du ciel ouvert…. Floraisons de perruches, forêts équatoriales, tout échoue dans tes rets poétiques…mer phonétique à la phosphorescence, mer prophétique à l’incandescence… »
Et enfin puisqu’un poète en rappelle un autre, j’ai établi deux parallèles.
D’une part :
« Hommes bruts jamais
jamais ne connaîtrons-nous plus de défaillance
que ne puisse combler cette aube pure, cette aube simple,
cette aube immense qui brûle
dans le cristal de son incandescence ! »
Daniel Berghezan, Hommage ! Hommage à la Vivacité divine !
« Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
Charles Baudelaire, l’homme et la mer
Et d’autre part :
« - ô Saint-John Perse le Lyrique –
la voix gorgée de mots malades et envoûtants
avec cette fièvre,
avec ce feu,
te voici à jamais épié
dans l’envol de tous les oiseaux du Monde. »
Daniel Berghezan, Ô toi qui reviendras, sur les derniers roulements d’orage.
« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Charles Baudelaire
Merci à Daniel Berghezan de nous avoir indiqué comment cet envoûtement lui a permis d’accéder au « monde entier des choses ». Meri à Librinova de m’avoir sollicitée pour cette chronique.