Ce 113ème défi chez les Croqueurs de mots s’attaque au : « nez », par lequel doit débuter mon texte.
Le nez dans un verre de Pouilly frais et attablée devant un Irish Stew au Corcoran’s de la Porte des Lilas, je défie le temps. Impermanent, irréversible, conduisant à la mort de manière inéluctable, c’est ainsi qu’on qualifie le temps. Insaisissable dirais-je.
A la table d’à côté, les filles ont un petit coup dans le thème du défi. Elles s’excitent, s’exclament, applaudissent l’orchestre au fond de la salle. Elles jouent avec leurs cheveux, prennent les photos, les smartphones crépitent. On ne s’entend plus, les guitares couinent, mes oreilles explosent. Les garçons ont des yeux de loups de Tex Avery, une petit mère Noël en jupette au ras des fesses se trémousse à côté d’une dame dont la danse efface l’âge respectable. Tout le monde sympathise avec chacun et Noël approchant clignote au bar en guirlandes multicolores. Les tables se vident et dehors on trépigne, la clope au bec, des jeunes glissent leurs bras sous le coton de leur tee shirt en quête de chaleur. Ils claquent des dents. Puis retournent dans la fureur et dans le bruit. Police et Dire Straits ont toujours la côte en 2013, je ne ressens pas de décalage. Mes doigts pianotent sur la table, mes pieds tambourinent au sol. J’ai vingt ans. Je suis bien, dans mon temps, à l’instant qui passe, déjà. Pour un peu je me lèverais, me déhancherais en musique. Quelque chose me retient qui n'est pas un lumbago ou de l'arthrose. Quelque chose d'impalpable....
Il faut bien rentrer, quitter l’illusion, refermer la parenthèse, retourner chez soi, le nez au vent glacé. Je revêts l’uniforme de cinquantenaire bien dans sa peau, je fais croire au monde que du temps a passé, que je l’accepte.